ast s’ouvre pour la toute première fois à des visiteurs ce 17 juin 2023. Ici, tout sent le neuf. On entre dans ce nouveau chai par la salle de dégustation avec ses tables, son bar, son coin boutique et sa cuisine au fond à gauche. Une grande baie vitrée donne sur l’extérieur. Nous sommes à Ilok, en Slavonie, au nord-est de la Croatie, à la frontière avec la Serbie, chez la famille Kovcalija.
Poursuivant la visite, nous entrons dans le chai par une porte qui donne sur une cave voûtée. Ici démarre un circuit qui prétend « remonter le temps ». On découvre une batterie de petites cuves en inox symbolisant le modernisme, puis des œufs en béton qui rappellent « la tradition austro-hongroise du béton », des fûts neufs « rappelant l’époque médiévale » et des amphores dans une salle un peu plus vaste décorée de peintures évoquant l’ère romaine. La panoplie complète du vinificateur 2025.
Au bout de ce tunnel en forme de U, le visiteur revient dans la salle de dégustation avec son mobilier et sa décoration en bois, en cuivre et en cuir. Pour construire cette cave luxueuse, la famille Kovcalija a fait appel à un conseiller d’Istrie et aux subventions européennes qui ont couvert 70 % des 2 millions d’euros qu’elle a investis. Elle travaille dur aussi : elle tient un hôtel-restaurant dont la terrasse donne sur le Danube et la Serbie, juste en face. Ce sont les enfants, des trentenaires, qui s’occupent du vin avec l’aide d’un œnologue conseil. L’objectif est de produire 200 000 bouteilles par an, des blancs essentiellement, autour de 12 € la bouteille sur place.
Dans le village voisin de Rados, une autre cave toute neuve a surgi au milieu des vignes en 2014 : Vina Papak. Le projet de l’ingénieur agronome et oenologue Mladen Papak est plus modeste : un bâtiment carré entouré d’une terrasse avec vue sur les vignes, avec la cuverie au sous-sol et une grande salle de réception au rez-de-chaussée. Comme Kast et Vina Papak, beaucoup de petits domaines ont émergé en Slavonie depuis la fin de la guerre des Balkans en 1995.
Forte de 5 800 ha, cette région possède une longue tradition viticole comme en témoignent ses nombreuses caves vieilles de plusieurs siècles. Ces propriétés appartenaient à des familles nobles avant d’être nationalisées à l’époque communiste, puis à nouveau privatisées après les guerres de Yougoslavie.
Ilocki Podrumi (la cave d’Ilok) a connu ces soubresauts. Privatisée en 2003, cette entreprise appartient aujourd’hui à Juraj Mihaljevic, un distributeur de vin et spiritueux. Léa, la jeune guide, vous la présente comme un monument historique qui a survécu à la guerre. Elle nous montre un foudre de chêne noirci par le temps. « C’est le seul qu’on ait pu préserver pour le vin. Tous les autres ont été rendus inutilisables car ils ont contenu de la rakija, l’eau-de-vie de fruits serbe. » Mais pas perdus pour autant : ils décorent désormais la grande pièce du restaurant d’Ilocki Podrumi. Vesna Stajner, qui s’occupe des relations publiques, nous explique que la propriété exploite 330 ha en propre et qu’elle achète 660 ha de raisin, « sauf en 2024 où elle n’a trouvé que 100 ha à cause de la grêle et de la sécheresse. »
L’entreprise cultive du gewurztraminer dont Vesna souligne qu’il a été apporté ici par la famille d’origine, les Odescalchi originaires du Sud-Tyrol, en 1710. Notre guide rappelle que son employeur est particulièrement fier du millésime 1947 qui a été servi lors du couronnement de la reine Elisabeth II d’Angleterre, en 1953. Mais en fait, Ilocki Podrumi produit surtout du grasevina. Ce cépage blanc, le plus planté de Croatie avec 25 % de la surface totale du pays, représente 60 % de sa production. Vinifié sans élevage, il donne un vin frais et croquant que les touristes dégustent sur la côte dalmate et le long du Danube.
Plus au nord, près d’Erdut, Erdutski Vinogradi s’étire sur 450 ha dont plus de 310 dédiés au grasevina. « Nous sommes sur un méandre du Danube où nous bénéficions d’un micro-climat venté », explique Duna Vukmirovic, membre du comité de direction. On fait du vin ici depuis 1730. Dans ce chai, les visiteurs peuvent admirer le « plus grand foudre de vin du monde » encore usité, d’une capacité de 750 hl.
Toujours plus en amont du Danube, au nord d’Osijek, Belje est le plus grand propriétaire de vignes de Croatie avec 560 hectares. Cette société cotée à la bourse de Zagreb produit aussi des céréales, des tomates, de la charcuterie et des produits laitiers. Son vignoble ondule jusqu’à une immense cuverie construite en 2006 dans un bâtiment de 10 000 m2. L’équipe en place aime montrer aux visiteurs le contraste entre ce chai moderne où l’inox règne en maître et son ancienne cave creusée dans un boyau comme il en existe tant d’autres dans la région et qui remonterait à 1526. L’expression archi-galvaudée « entre modernisme et tradition » prend ici vraiment tout son sens !
Grasevina. Prononcez « grachévina ». C’est le nom croate d’un cépage blanc cultivé sur 20 000 hectares répartis dans au moins huit pays d’Europe centrale. En Serbie, il s’appelle grasac beli, en Slovénie laski rizling, en Hongrie olaszrizling, en Slovaquie ryzling vlassky, en République Thèque ryzlink vlassky, en Autriche welschriesling et en Roumanie riesling italian. C’est en Croatie qu’il est le plus planté avec 4 400 ha soit 25 % de la surface viticole croate. Et au sein de la Croatie, c’est en Slavonie qu’on le trouve le plus. Ce cépage se décline en vin sec jeune ou élevé en fût, en liquoreux, en effervescent et même en vin orange. Il a son concours, Grow du monde, acronyme pour grasevina, olaszrizling and welschriesling, organisé dans les différents pays qui le produisent.