ans le restaurant Antica, à Cagliari, à la pointe sud de la Sardaigne, le sommelier nous apporte une bouteille de costamolino. La fraîcheur de ce vermentino, ses notes d’agrumes et d’amande s’accordent parfaitement avec les délicieux poissons proposés par le chef. Ce cépage est connu en Ligurie, Toscane, Provence et en Corse, bien sûr, mais c’est la Sardaigne qui en cultive le plus, avec près de 5 000 ha recensés en 2023. À l’heure où les rouges peinent à s’écouler alors qu’ils occupent les deux tiers de l’encépagement, ce blanc frais a le vent en poupe.
Le Costamolino, c’est le best-seller d’Argiolas avec 300 000 bouteilles vendues par an. Avec ses 280 ha de vignes et les raisins qu’elle achète, cette propriété, détenue par la famille du même nom et basée à une vingtaine de kilomètres au nord de Cagliari, s’est hissée en trente ans parmi les meilleurs producteurs d’Italie. Mariano Murru, le directeur technique depuis trente-quatre ans, nous l’assure : le vermentino, comme deux autres blancs typiques de Sardaigne – le torbato et le nuragus –, cartonne en Italie continentale et à l’export, en particulier aux États-Unis. Hasard des rencontres, le jour de notre visite, la famille Argiolas reçoit son importateur américain Winebow autour d’un barbecue et d’un concert de country sarde, au milieu des vignes, pour fêter leurs trente ans de collaboration fructueuse.
« Le vermentino est le cépage qui a été le plus planté ces vingt dernières années, explique Mariano Murru. Il est extraordinaire. Il s’adapte à la sécheresse et au réchauffement climatique et permet plein d’expériences. » Chez Argiolas, il est décliné en quatre étiquettes : Costamolino, léger et facile à boire, Merì, vinifié sans sulfites et avec de la neige carbonique pour préserver les arômes, Is Argiolas, issu de vignes plus âgées, et Cerdeña élevé neuf mois en barrique puis en bouteille pendant un an et demi. Ces références représentent la moitié de la production de l’entreprise avec 1,2 million de bouteilles sur un total de 2,5 millions. Des vins vendus entre 13 et 20 € au consommateur.
Au nord-ouest de l’île, à une dizaine de kilomètres de la très touristique ville d’Alghero, s’étend à perte de vue le vignoble de Sella & Mosca, le plus grand producteur privé de Sardaigne. Situés à quelques mètres seulement au-dessus du niveau de la mer, ses 520 ha de vignes d’un seul tenant aux rangs parfaitement alignés et palissés et enherbés un rang sur deux s’offrent à la vue du visiteur. Le cuvier, qui date de 1979, est des plus simpliste : un grand bloc de tôle. Juste à côté, le chai d’élevage en pierre à la charpente en bois a une belle allure. À l’intérieur, des vins vieillissent dans 1 500 fûts français et foudres de Slavonie. De quoi produire 5,5 millions de cols par an.
Sella & Mosca mise sur le vermentino, son cépage leader qui couvre 44 % de son vignoble, mais aussi sur le torbato dont il est le plus gros producteur sarde. Viennent ensuite deux cépages rouges : le cannonau (20 %) et le cabernet-sauvignon (10 %).
Pourquoi ces deux cépages blancs ? « Ils ont trouvé ici leur lieu de prédilection, soutient Giovanni Pinna, directeur de Sella & Mosca et président de l’appellation Vermentino de Sardaigne. Le vermentino résiste bien à notre climat méditerranéen et ses étés secs. De plus, il est facile à cultiver, à vinifier et à comprendre pour les consommateurs, avec son style reconnaissable et ses arômes puissants. Le torbato, lui aussi, se comporte bien. Nous l’utilisons pour les mousseux. »
Sella & Mosca produit 1,7 million de bouteilles à partir du seul vermentino. « C’est clairement le vin qui a le vent en poupe quand le cannonau est en danger », reconnaît Giovanni Pinna.
À une dizaine de kilomètres de là, Santa Maria La Palma produit 5 millions de bouteilles par an dont 60 % de vermentino. Tous ces vins sont issus de 800 ha gérés selon un tout autre modèle. Et pour cause : Santa Maria La Palma est une coopérative forte de trois cents membres qui cultivent des petites parcelles mêlées à d’autres cultures. Ici, le vermentino est décliné en six cuvées parmi lesquelles l’Aragosta, le frizzante le plus vendu de l’île, et l’Akènta, un mousseux élaboré en cuve close.
À l’aéroport d’Alghero, une bouteille géante d’Akenta trône dans la salle de réception des bagages car cette coop mise avant tout sur l’œnotourisme. Elle cherche ainsi à attirer les visiteurs dans son caveau de dégustation et leur proposer son activité la plus originale. Pour 100 €, elle les emmène en mer pour assister, en maillot de bain, un verre en plastique rose rempli de mousseux à la main, au repêchage d’une palette de 600 bouteilles d’Akenta Sub qui vient de passer huit à dix mois à une quarantaine de mètres de profondeur. La coop élève ainsi 5 000 cols par an qui ressortent couverts de dépôts d’organismes marins, une décoration naturelle qui permet de les valoriser à 62 € dans un coffret, contre 11,20 € la version élevée sur la terre ferme. Le vermentino, un cépage qui se prête à toutes les manipulations !
Plus rare et plus prestigieux que le Vermentino di Sardegna, le Vermentino di Gallura est passé en DOCG en 1996. C’est la seule et unique DOCG de Sardaigne (Denominazione di origine controllata e garantita), catégorie supérieure à la DOC. Vingt ans après la création de la DOC Vermentino di Sardegna, l’idée était de distinguer les vermentinos de la Gallura de ceux du reste de l’île. Située tout au nord-est de la Sardaigne, cette petite région se démarque par son climat frais, humide et venteux et par ses sols granitiques. Elle donne des vins plus intenses que ceux des marnes calcaires du reste de l’île. Les prix peuvent monter à 30 € la bouteille quand ils se situent autour de 15 € pour le Vermentino di Sardegna.