as de préjugés. Millésime de combat au vignoble, 2024 demande à la place de Bordeaux de le défendre pour éviter les a prioris négatifs. Prenant la parole depuis des mois pour défendre le résultat d’une année viticole compliquée, les châteaux, négociants et courtiers de Bordeaux veulent diffuser un message positif sur la qualité des vins obtenus et infuser l’intérêt pour des vins dans l’air du temps : si les vins obtenus ne sont pas des monstres de puissance, leur profil moderne et accessible sur la jeunesse doit faire de ce millésime pluvieux un achat évident pour les plus jeunes consommateurs. « Il apparaîtrait surprenant, dans un contexte où les amateurs semblent apprécier les vins rouges fruités, frais, et rapidement accessibles, de bouder a priori les Bordeaux 2024 sur le prétexte qu’ils ne correspondent pas aux canons des plus grands millésimes » résume la note du millésime 2024 par l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin de l’Université de Bordeaux (ISVV).
Pour dissiper toute critique préconçue, une note de cabinets de courtage spécialisés dans les grands crus demande : « 2024, et si c’était une chance pour Bordeaux ? » Pour ces courtiers, les vins produits l’an dernier peuvent présenter « une opportunité pour Bordeaux dans le contexte actuel où les consommateurs recherchent des vins plus accessibles. 2024 propose des vins équilibrés, frais et faciles à apprécier dès leur jeunesse. » Finalement, avoir un 2024 accessible, et réduit en volume, et non un millésime du siècle, concentré et abondant, serait une bonne chose. « C’est un millésime très intéressant, qui tombe à point nommé » pour Philippe Tapie, le président de Bordeaux Négoce. Qui loue des équilibres modernes, légers et frais : des vins prêt à boire rapidement, correspondant au mantra "Drink Bordeaux Young" que répète le négociant. En pleines dégustations des primeurs, Philippe Tapie tire son chapeau aux châteaux pour le résultat obtenu malgré les difficultés climatiques : « c’est un millésime qui tient la route et qui est bien fait. Il faut être honnête, ce n’est pas le millésime du siècle. Mais il n’a pas un problème, il est tout à fait équilibré : on ne part pas avec un handicap. »
Rapport qualité-primeur
Si la qualité est là, tout le défi pour réussir la campagne de commercialisation des primeurs sera d’afficher le bon tarif pour transformer le potentiel qualitatif en bon rapport qualité-prix. Pour 2024, « il faudra trouver le prix qui fait que le marché décide de sauter le pas » résume récemment François-Xavier Maroteaux, le président de l’Union des Grands Crus de Bordeaux (UGCB), pour qui « la meilleure façon de faire fonctionner le système des primeurs est de trouver le prix auquel le client n’a pas le moindre doute sur la nécessité d’acheter. Le bon prix est la meilleure des réponses, on l’a bien vu avec les primeurs 2019. »
Affichant le calme des vieilles troupes, Philippe Tapie se dit « persuadé que la propriété fera ce qu’il faut faire » en termes de stratégies tarifaires individuelles. Persuadé que « le succès commercial » de ces primeurs nécessite de « créer un effet waouw » (« dans ces conditions de prix et de qualité, il est évident d’acheter »), le représentant du négoce prévient que les étiquettes 2024 qui sortiront à des prix trop élevés pour le marché ne se vendront pas ou plus tard. « Je ne veux pas me positionner en donneur de leçons. Je suis un fervent défenseur du soldat primeur » prévient Philippe Tapie, qui l’affirme fermement : les châteaux vont devoir se poser sérieusement des questions sur leurs stratégies tarifaires, car le « mal est profond. L’an passé, les propriétés ont déjà baissé leurs prix et pourtant cela n’a pas été suffisant pour trouver un marché »


Le négoce n’est pas en reste, devant remettre en cause certaines pratiques. Philippe Tapie met les pieds dans le plat : « il faut sortir du chantage des allocations de grands crus : le négoce doit être capable de dire non et de ne pas acheter à une propriété qui n’applique pas le bon prix. » Un appel clair à sortir du chantage des allocations, « cet épouvantail » biaisant les relations commerciales. « Le négoce qui juge que le prix n’est pas bon ou que le marché n’est pas là peut ne pas acheter une année, ça ne doit pas l’empêcher d’avoir ses allocations l’année suivante » plaide le président de Bordeaux Négoce. Il faut dire que le poids des stocks de grands crus invendus devient lourd pour les négociants, et que la crainte de ne plus avoir accès aux prochains millésimes pour avoir fait faux bond sur une sortie. « C’est aussi au négoce de prendre ses responsabilités » pointe Philippe Tapie, qui avertit sur « la boîte de Pandore des remises commerciales. Une fois ouverte, il est difficile de revenir en arrière. C’est au négoce de croire dans la stratégie des propriétés quand elle est réaliste et qu’il est suffisamment confiant pour tenir ses prix et ses marges. Une remise systématique pour attraper le client est une hérésie pour le négoce. C’est le combat de cette année, avoir la capacité de tenir tête et de tenir sa marge. »
« 2024 était un millésime pluvieux » indique le bilan 2024 de l’ISVV, qui pose clairement qu’« il est indiscutable que les vignerons bordelais ont été particulièrement éprouvés par la météorologie en 2024, avec des précipitations abondantes, en particulier lors de moments clés du cycle de la vigne ». Mais « grâce aux efforts viticoles consentis et aux progrès techniques dont peuvent désormais profiter les vignerons, la qualité des vins élaborés cette année ne saurait être comparée aux millésimes pluvieux du passé » écrivent les œnologues bordelais. Qui saluent « la sélection parfois drastique réalisée par les propriétés » et les typicités des profils obtenus qui « poussent à se pencher, avec attention et nuances, sur cette année et ses spécificités ». Pour l’ISVV, « seule la dégustation attentive permettra d’évaluer précisément le style des vins produits ». Ça tombe bien, la semaine des primeurs est faite pour. L’Union des Grands Crus de Bordeaux (UGCB) accueille 5 000 professionnels du lundi 14 au jeudi 17 avril 2025