rande absence de la grande distribution dans le procès du stabilotage par les Jeunes Agriculteurs des vins à moins de 3 € ce mercredi 26 mars devant la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Libourne (Gironde). Les enseignes Leclerc de Saint-Magne-de-Castillon et Lidl d’Arveyres, de Libourne et de Castillon-la-Bataille poursuivent le vigneron Théo Hernandez, secrétaire général adjoint des Jeunes Agriculteurs de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine « pour avoir dégradé ou détérioré des bouteilles de vins en barrant leurs codes-barres ou en apposant des étiquettes, ayant pour conséquence de rendre ces produits invendables » d’après les plaintes déposées, à la suite d’actions syndicales les 7 et 9 mars 2024. Si le dossier évoque des dégradations coûtant 3 000 € pour Leclerc et 15 000 € pour Lidl, l’absence de leurs avocats n’a pas permis d’avoir leur version des faits, le vigneron bordelais refusant fermement le terme de dégradation lors de cette opération visant les vins vendus à bas prix, moins de 3 € pour les vins tranquilles et moins de 5 € pour les crémants (comme il y a vendange manuelle).
Théo Hernandez se défend devant le tribunal d’avoir détérioré les bouteilles à bas prix ciblés, reconnaissant des coups de marqueur indélébile sur les codes-barres et le collage d’étiquettes, qui n’empêchent pas vendre ces bouteilles : « pour preuve, Lidl a remis en rayon des bouteilles » rapporte le vigneron de Sainte-Foy. Qui n’était « pas là pour dégrader, mais pour faire entendre notre voix », qui n’était « pas là pour gêner, mais pour montrer que l’on n’arrive pas à vivre à ces prix » et « pour alerter les consommateurs qu’en achetant ces produits ça ne rémunère pas les producteurs. Ce qui pose de gros problèmes aux exploitations en Gironde et Nouvelle-Aquitaine. » Autre mise au point souhaitée par Théo Hernandez : il n’agissait pas à titre individuel, mais collectif lors d’actions syndicales annoncées (la gendarmerie et les renseignements généraux étant prévenus et présents).
Réquisitions : 1 000 € d’amendes
« Peut-être va-t-on s’émouvoir qu’il soit le seul présent à cette barre et pas en qualité de secrétaire adjoint des Jeunes Agriculteurs » balaie lors de son réquisitoire le procureur, assumant le choix de poursuivre la personne physique, comme le vigneron « s’est rendu coupable de dégradations en participant au stabilotage et au stickage d’étiquettes » alors que les autres participants n’ont pas été identifiés par l’enquête (malgré les nombreuses vidéos, Théo Hernandez n’ayant pas donné de noms). Demandant une condamnation « symbolique » de 1 000 € avec sursis pour les dégradations, le procureur rappelle la définition d’une dégradation : « c’est le fait d’endommager, d’abimer, et d’altérer », ce que les manifestants ont fait selon les réquisitions. Arguant que le dossier n’aurait jamais dû arriver devant le tribunal, le parquet rapporte avoir proposé une composition pénale (avec un stage de citoyenneté proposé et la réparation des dégradations). Mais le procureur indique comprendre que Théo Hernandez souhaite une audience publique face aux difficultés économiques connues de la filière vin à Bordeaux.
Pointant que les enquêteurs auraient pu identifier les personnes s’ils l’avaient voulu, maître Roberto Illan, défense de Théo Hernandez y voit un « révélateur que le parquet n’assume pas d’avoir fait un choix autoritaire qui est un fait politique ». L’avocat bordelais voyant dans le fait de « jeter son dévolu sur Théo Hernandez [la volonté de] faire un exemple dissuasif, intimidant. Force est de constater que le parquet de Libourne n’a absolument rien compris à l’immense souffrance des agriculteurs et à la légitimité de leur combat. » Reprochant au procureur de privilégier Goliath face à David, maître Roberto Illan estime qu’avec sa demande de condamnation « le parquet a décidé de faire un exemple, de prendre un tête de turc sur un syndicaliste, une personne courageuse qui mène un combat pacifique pour pouvoir vivre de son travail ».


Défendant également le vigneron de Sainte-Foy, maître Alan Roy dénonce le broyage économique du vignoble par les grandes enseignes négociant les prix d’achat au plus, en deçà des coûts de revient : « c’est la loi du plus fort, des prix cassés. Et maintenant c’est la loi du mépris, les enseignes ne sont pas là » au tribunal. Estimant que Théo Hernandez est poursuivi pour avoir « pendant 2 jours collé des autocollants et dit à la France entière : écoutez-nous, on meurt en silence », l’avocat bordelais juge infondées les plaintes. Il cite une audition d’un directeur Lidl indiquant qu’il est possible de faire passer en la caisse les bouteilles marquées avec un nouveau code-barre ou sans code-barre.
« Pourquoi parler de dégradations irréversibles quand ils reconnaissent qu’il n’y a aucun obstacle technique pour remettre en vente ces bouteilles ? » plaide maître Alan Roy, qui estime que faute de « pièces probantes » caractérisant le préjudice, « l’atteinte se limite à une simple gêne, un inconfort commercial ». Rejetant la matérialité de l’infraction, l’avocat en refuse également l’intentionnalité de dégradation, l’action des JA33 n’ayant par exemple pas cassé de bouteilles ou sorti des frigos les barquettes de viande stickées (pour étiquetage déloyal sur l’origine, des pots de miel ont également été ciblés). « Vous pouvez envoyer un signal fort à tous ceux qui luttent chaque jour pour survivre, dire que justice ne se trompe pas de cible » lance la défense au magistrat, indiquant que le délinquant n’est pas celui qui colle un autocollant revendicatif, mais celui qui achète et revend à bas prix en ne respectant pas la loi Egalim. « La relaxe n’est pas qu’une évidence juridique, c’est un devoir moral et une nécessité démocratique » conclut maître Alan Roy.
La mise en délibéré est fixée au mercredi 9 avril prochain.