’est une évidence, mais encore faut-il le démontrer : « l’expertise du tailleur a un impact réel sur le rendement de la vigne » concluent dans un communiqué les cognacs Bourgoin (106 hectares de vignes en fins bois et Petite Champagne) après leur « expérience grandeur nature » sur une parcelle donnée d’ugni blanc sur la commune de Saint-Saturnin (Charente). Pendant 8 ans, 7 salariés ont réalisé chaque année la taille en guyot double d’un même rang d’une longueur de 200 mètres leur étant associé, des prestataires réalisant la taille du reste de la parcelle. Le reste des travaux agricoles étant identiques sur l’année. Jusqu’à la vendange 2024, durant laquelle chaque rang a été vendangé séparément pour peser les raisins produits. Au final, on trouve un « delta de 30 % de poids entre le rang le moins fourni [taillé par des saisonniers itinérants, changeant d’une année sur l’autre,] et celui qui a donné le plus [taillé par un salarié du domaine] » rapportent les vignobles Bourgoin, pour qui il y a « de quoi amener les viticulteurs de l’aire d’appellation cognac à réfléchir plutôt deux fois qu’une avant d’envoyer au vignoble du personnel peu ou pas qualifié » : « il faut investir dans la formation des tailleurs. L’enjeu financier est réel ! » Quitte à envisager des primes valorisant les bons tailleurs ajoute la distillerie charentaise.
Face aux 30 % de décalage entre le rang le plus productif et celui le moins généreux, le vigneron Alain Bourgoin, patriarche des cognacs éponymes comptant parmi les 7 tailleurs participant à l’essai, reconnaît avoir de petits doutes sur l’exactitude des pesées et compte poursuivre les relevés ces prochaines années pour y voir clair. « La différences est tellement énorme que j’ai du mal à y croire » concède-t-il, précisant à Vitisphere qu’« au vu des premiers relevés de récoltes et de la différence qu’il y a, on peut en déduire que chaque tailleur a une incidence sur la production de chaque pied. On peut extrapoler que mieux vaut payer plus cher quelqu’un qui fait du bon boulot, avec une vigne qui produit plus et plus longtemps » que d’économiser avec le tailleur le moins disant, mais pas forcément le plus compétent et soucieux des consignes.


Le sujet de la formation des tailleurs et de l’adaptation de leurs pratiques aux attentes de l’employeur est un sujet en forme d’impasse pour Alain Bourgoin. À 64 ans, le vigneron indique s’apercevoir que « je ne peux pas changer mes gars. Quand on a de mauvaises habitudes, quand on n’a pas la perception de leurs conséquences, je n’ai pas trouvé la solution pour les modifier, malgré des formations de taille. » Reste l’impression que cette expérimentation responsabilise un peu plus les équipes : « j’étais content de tailler le rang que j’avais déjà taillé l’an passé et les années précédentes. On est content de voir l’évolution de son travail personnel, plutôt que de passer derrière quelqu’un sans savoir qui. On ne peut pas incriminer le tailleur précédent des erreurs, on reprend son travail. »
Pour les prochaines années, Alain Bourgoin compte revenir à l’objectif initial de son projet : suivre la longévité des ceps selon leur tailleur. L’idée originelle étant de voir sur le long terme les effets des erreurs de taille (notamment d’importantes plaies) sur la durée de vie d’un pied de vigne : « malgré les consignes que l’on peut dire et lire, elles ne sont pas toutes appliquées de la même manière » pointe Alain Bourgoin, qui relève qu’actuellement, il n’y a pas de différence significative de mortalité entre les rangs suivis.