lors que c’est un débouché commercial conséquent aux États-Unis, le système des clubs de vin en particulier et de vente par correspondance en général ne semble pas avoir fait florès en France… Mais pour vous, c’est un réseau de distribution d’avenir ?
Laurent David : Nous sommes une petite exploitation qui fait de la dentelle sur 1,6 hectare. C’est tout petit… La taille du clos de la Romanée Conti ! Nos coûts de production étant très élevés, on ne peut pas avoir 25 intermédiaires entre nous et le consommateur pour éviter d’être déclassés en termes de prix. D’où l’idée d’aller directement au contact du consommateur. C’est un enjeu économique, mais aussi de connaissance de ses besoins.
Je travaillais précédemment pour l’entreprise Apple qui avait pour obsession de connaître son consommateur. J’étais la première personne recrutée pour commercialiser l’iPhone en France. C’était l’époque du retour de Steve Jobs dans l’entreprise, qui croyait faire de bons produits comme elle les commercialisait, mais qui créait en fait des stocks intermédiaires chez ses distributeurs. L’ouverture de magasins Apple a permis d’avoir des retours directs, de dialoguer… Et désormais cela représente un tiers du chiffre d’affaires d’Apple. Ce que l’on apprend en parlant directement aux clients, on est ensuite capable de l’amener dans les rayons des grands distributeurs. Ce modèle de la distribution directe est repris par les grands groupes de luxe, comme LVMH avec Sephora pour les parfums.
Quand je suis arrivé dans le monde du vin, j’ai été surpris de voir que les grands crus classés ne connaissent pas leurs clients. Ils vendent à des gens qui vendent à d’autres gens. Cela me paraissait totalement inédit. Ma culture vient d’ailleurs : il y un bénéfice à parler avec son client. Je propose des cartes d’entrée à 6, 12 ou 24 bouteilles d’achat (notre bouteille étant vendue 52 €). J’ai 200 allocataires actuellement et une liste d’attente. Le club d’allocataires un tiers des ventes. L’export pèse pour un tiers et la restauration un autre tiers. Il faut de la diversification pour rester indépendant et être moins exposé au risque.
Votre modèle de club est à cheval entre les wineries de Californie et les allocations des domaines de Bourgogne…
Je me suis inspiré des bonnes recettes pour créer un club allocataire. Nous n’avons pas assez de vin pour tout le monde et notre but n’est pas d’augmenter par 10 nos surfaces, mais vendre du vin avec une marge correcte pour investir. J’ai rajeuni de 10 ans ma base client. Et nous avons maintenant 40 % de la clientèle qui se trouve hors de France. C’est gratifiant, et cela permet de vendre tout en gardant l’entreprise à flot. Ce modèle de vente directe ne s’adapte pas à tout le monde. Et il est dur de tout faire : d’être bon à la vigne, au chai, à la vente…
Mettre en place un club est compliqué, il y a une prise de risque. Mais avec le développement de l’œnotourisme, les vignerons ont l’obligation de créer ce lien à distance, de créer un club, d’écouter les consommateur, d’envoyer des messages… J’ai fait un groupe WhatsApp pour mes 200 allocataires. C’est du travail, mais je dois savoir où je mets mon temps. Bien sûr, il y a des gens qui râlent. S’ils prennent le temps le dire, il faut l’entendre : le pire est qu’ils ne le disent pas. En l’indiquant, on a une chance de pouvoir s’améliorer. Ça peut être dur, mais il faut l’entendre.
Comment faire de ces allocataires des ambassadeurs durables et pas des acheteurs éphémères ?
Chaque année, il y a un taux de perte. C’est normal. Une base de clients se constitue et s’anime. On sait que la réputation d’un domaine se fait sur la qualité de ses vins et des critiques qu’il obtient. Mais il existe des médias sociaux et quand vous avez une masse de clients, il faut les inviter à vous suivre sur votre page Instagram, sur votre LinkedIn… Ce qui me permet de dire ce que je fais, où j’en suis et créer simplement du lien. C’est comme ça que l’on construit des communautés. Ce qui demande de la participation, pas seulement des rapports de transaction. Pour créer une communauté il faut partager des valeur et il faut donner du sens : nous sommes en bio, biodynamie et B Corp… et nous produisons un gin à partir de l’alcool issu de la désalcoolisation de nos vins. J’ai invité des allocataires à déguster ce gin, comme je les convie à participer aux vendanges. Un club n’est pas seulement une liste de mails pour envoyer une liste de prix, ça doit être une communauté.
Entre le club d’allocataires sur WhatsApp et la communauté sur LinkedIn et Instagram, vous montrez une voie de modernisation du commerce du vin : plus interactif et proche de ses consommateurs.
Cela donne beaucoup de sens. Et je fais participer mes allocataires sur certaines décisions. Je les sollicite par exemple sur le nom d’une cuvée. J’avais des doutes, j’ai sollicité le groupe whatsapp avec un vote. Nous avons trouvé le nom. Idem pour l’étiquette. C’est une étude de marché gratuite ! Mais c’est aussi du travail : quand je fais ça, je ne suis pas sur autre chose.
Il faut utiliser le digital pour parler aux jeunes. Ça ne sert à rien de faire des pubs à la TV ou sur du 4x3 : si l’on n’est pas là où sont les jeunes, on ne peut pas leur parler : ça se passe dans leurs mains, dans leur téléphone. Mais tout n’est pas que digital. Une fois dans l’année, en juin, nous organisons une journée porte ouverte pour offrir un banquet et nous présenter. Je préfère être ouvert bien une fois dans l’année que mal tout le temps. Et ça me rebooste pour toute l’année : quand il y a la pression mildiou, ça fait du bien !