ous venez d’être élu personnalité préférée de nos lecteurs alors que les pépiniéristes œuvrent beaucoup en coulisse, le vigneron étant la star dans la filière vin, et que la R&D en pépinière est très peu visible, le vignoble parlant beaucoup plus de tradition que d’innovation. Est-ce un paradoxe ou le signe d’une évolution ?
Olivier Zekri : Je me suis fait cette réflexion. Cette récompense est un super honneur personnel et une mise en lumière du travail de nos équipes de Novatech et des pépinières Mercier pour montrer qu’il y a aussi de l’innovation sur le matériel végétal. Au milieu de toutes les innovations viticoles, on a pu avoir l’impression que la pépinière était le parent pauvre, en étant très peu visible, alors que le matériel végétal a toujours été essentiel voire déterminant. Au travers de cette récompense individuelle de vos lecteurs, c’est un encouragement pour continuer à innover sur la génétique des plants de vigne en s’adaptant aux demandes du marché.
Les variétés que l’on développe au sein du programme Naty étaient au départ résistantes au mildiou, à l’oïdium et aux champignons, on a ajouté les critères d’adaptation au changement climatique (débourrement, maturité…) et on regarde dans ce panel si certaines variétés sont plus adaptées aux attentes du marché. On parle aujourd’hui des vins no/low, on se demande si certaines variétés sont plus adaptées pour produire des sucres et d’autres coprouits dégradables par les levures pour avoir naturellement moins de degré alcoolique.
Les cépages résistants au mildiou et à l’oïdium se déployant progressivement, quelles sont les prochaines innovations de rupture que vous préparez et prévoyez pour les cépages viticoles ?
Ce n’est pas à moi de dire si ce seront des innovations de rupture, mais nous travaillons sur deux innovations pour les porte-greffes. Nous avons des programmes sur ce qui pourrait apporter de la résistance par rapport aux virus (notamment le court-noué) et de la résilience face au stress hydrique (qui reste prégnant dans pas mal de régions même après deux millésimes très humides).
Quels sont les leviers d’adaptation du matériel végétal par rapport au changement climatique et aux évolutions sociétales ? Y voyez-vous la solution pour maintenir les vignobles en place face à la sécheresse ou le déploiement urbain ?
On le croit. On n’a pas la prétention de penser que c’est la solution, mais c’est une des solutions. Le levier génétique est incroyablement puissant pour faire partie de la solution. Je rappelle souvent qu’il ne faut pas oublier que notre filière a été sauvée à la fin du XIXème siècle par l’innovation génétique : le greffage contre le phylloxera. Il n’y a pas de raison que ce ne soit pas le cas demain. Je suis sûr que le matériel végétal et l’innovation génétique seront une partie de la solution.
Vous travaillez sur les nouvelles techniques génomiques (NGT) pour améliorer les plants de vigne : est-ce le projet de tous les possibles techniques et de tous les clivages sociologiques ?
Il est évident que cela ouvre le champ des possibles. Pouvoir utiliser les outils NGT est relativement peu coûteux pour évaluer les effets génétiques. C’est une forme de révolution pour tester tout un tas de chose. Mais c’est effectivement un vrai questionnement sur ce que la société veut en faire. On croit beaucoup au potentiel de ces technologies, il est impératif de pouvoir les évaluer et il serait dommage de les écarter, mais je ne crois pas que cela sera la seule solution. Il faudra que la société se positionne demain sur l’usage de ces technologies.
L’information aura un grand rôle, pouvant attiser l’espoir ou les craintes. Parmi les chercheurs, on entend que l’enjeu des NGT ne sera pas tant sur les solutions que cela va permettre, mais sur l’éducation et la présentation de cette technologie. La ligne de crête est fragile. Si l’on transforme tout en technique, ce n’est pas glamour. On ne parle d’ailleurs jamais de technique pour le vin. Mais quand on explique que la filière essaie de faire évoluer sa génétique pour permettre l’expression pérenne des terroirs où des cépages ne sont plus adaptés, ce n’est pas la même manière d’expliquer les choses. Il faudra faire évoluer la génétique du pinot noir pour continuer à produire les vins que tout le monde aime sur certains terroirs de Bourgogne. Le vignoble migre, on voit de plus en plus de projets vers le Nord et ça peut être l’avenir du vignoble. Mais si on a envie de continuer à produire du vin sous nos latitudes, il y a besoin d’innovations.
Se déployant progressivement, les nouveaux cépages résistants se normalisent mais ne se banalisent pas encore dans le vignoble français. Est-ce lié au frein culturel de la tradition des vins d’appellation ?
Les chiffres de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) sur le déploiement des variétés résistantes montre que le développement sur quasiment 10 ans est exponentiel. Le frein est plutôt lié à la disponibilité en matériel végétal. La filière n’était pas habituée et organisée pour répondre à une forte demande sur de nouvelles variétés. Là aussi, il y a manière à innover pour répondre aux demandes des marchés. Il y a aujourd’hui une demande forte pour les Resdur2 rouges, mais la filière n'est pas capable de répondre à la demande par manque de matériel végétal. C’est le premier frein. Il faut aussi que la filière améliore sa vision du marché en impliquant d’avantage le négoce pour mieux appréhender les attentes de nouvelles variétés.
Les pépinières ne sont pas épargnées par la crise viticole. Alors que l’on parle plus d’arrachage que de plantation, comment voyez-vous l’avenir de votre métier : avec espoir ou inquiétude ?
On ressent la crise comme pépinières et on est inquiets bien sûr. Comme fournisseur de la filière, on est vigilant. On a conscience quand l’on arrache et que l’on a du mal à vendre du vin que les projets ne soient pas à la plantation. Mais avec la casquette de l’innovation, ce sont des moments où il faut accélérer. C’est dans les moments de crise que les innovations de rupture peuvent avoir des opportunités de percer qu’elles n’auraient pas eu dans des périodes plus tranquilles.