orsqu’en mars 2024, Vinovalie autorise ses adhérents à utiliser des fongicides classés CMR jusqu’à la floraison, Thierry Fournier, propriétaire de 47 ha à Gaillac, ne tergiverse pas très longtemps. À quelques semaines du début de la campagne, il modifie son programme de traitements et y intègre deux produits classés CMR : Futura (dithianon + phosphonate de potassium) et du folpel.
Après une saison 2023 éprouvante, où il perd près de 40 % de sa récolte en sauvignon et en merlot à cause du mildiou et du black-rot, il ne se voyait pas prendre le risque de traiter encore une fois avec seulement de la bouillie bordelaise et du soufre. « J’avais surtout très peur du black-rot, explique-t-il. Sur mes 43 ha, 12 sont en taille rase. S’ils ne sont pas assez protégés contre le black-rot dès le début de la végétation, ça ne pardonne pas. Pour mes deux premiers traitements – le 26 avril et le 3 mai –, j’ai donc appliqué 1,8 l/ha de Futura puis le 24 mai, pour le troisième passage juste avant la fleur, 2,5 l/ha de folpel. Après la fleur, j’ai pu alterner Ysayo (Mildicut), Zorvec, Conydia (Dynali) et Luna pour protéger le vignoble jusqu’au début de la véraison et gérer au mieux les phénomènes de résistances. »
L’année dernière, Thierry Fournier a également resserré les cadences, traitant tous les huit à dix jours en moyenne. « En 2023, je me suis fait surprendre par la pluviométrie. Vu le coût des phytos et le prix du gasoil, j’avais tendance à espacer les traitements. En 2024, je n’ai pas reproduit la même erreur. Grâce à cette stratégie, je n’ai presque pas eu de perte de récolte, alors que c’était une année à forte pression. » Pour la campagne à venir, ce vigneron prévoit de partir sur le même programme. « En tout cas, pour les deux premiers traitements. Après, pour l’encadrement de la fleur, je m’adapterais à la pluviométrie et à la pression fongique », souffle-t-il.
À la coopérative de Ribeauvillé, en Alsace, l’interdiction des CMR demeure. Guillaume Kester, propriétaire de 15 ha dans ce village du Haut-Rhin, a banni cette catégorie de produits depuis cinq ans. « En 2024, j’ai commencé la protection le 9 mai par 1 kg/ha de bouillie bordelaise et 8 kg/ha de soufre mouillable. Puis, le 18 mai, juste avant la fleur, j’ai positionné 4,5 l/ha de Mildicut en préfloraison, avant d’enchaîner, le 28 mai, avec un pack combinant 2,5 l/ha d’Héliocuivre et 0,4 l/ha de Zorvec et, le 6 juin, 2,8 l/ha d’Amaline Flow en post-floraison. Et ça a super bien fonctionné », confie-t-il très enthousiaste. « En appliquant un Mildicut très tôt et en traitant tous les dix jours, je n’ai eu aucune perte de récolte malgré une météo désastreuse. J’ai dû effectuer quatre traitements de plus que d’habitude et j’ai consommé 30 % de cuivre métal à l’hectare en plus, mais les résultats sont là. »
À cela, Guillaume Kester a associé un effeuillage précoce sur les deux faces, mi-juin, au stade petit pois : « En vue d’enlever les capuchons floraux et les feuilles devant les grappes, et optimiser ainsi la pénétration des produits pour s’assurer de l’efficacité maximale de mes traitements », rapporte-t-il.
À Sérignan-du-Comtat, dans le Vaucluse, Julien Bourchet, propriétaire de 35 ha, résiste lui aussi à la réintégration de produits classés CMR, malgré deux campagnes compliquées en 2023 et 2024. « Cela fait quatre ans maintenant que chaque année je réadapte mon programme en fonction de la réglementation pour exclure les produits CMR, indique-t-il. Je commence à être habitué même si, entre les produits classés CMR du jour au lendemain et ceux retirés du marché, ça devient de moins en moins évident. En 2024, on a eu pression fongique aussi forte qu’en 2018, sans disposer des mêmes armes. À l’époque, on pouvait compter sur le mancozèbe, retiré du marché, et sur Valiant Flash, désormais classé CMR. En 2024, il a fallu faire sans ce produit et, forcément, on a explosé les quantités de cuivre métal à l’hectare. »
Julien Bourchet a entamé sa campagne le 25 avril avec 1,5 l/ha de bouillie bordelaise, 2,5 l/ha de LBG et 8 kg/ha de Microthiol. Le 5 mai, après 50 mm de pluie, il renouvelle son traitement et applique, sur les conseils de la chambre d’agriculture, 4,5 l/ha de Mildicut soutenu par 0,5 kg/ha de Nordox. « Puis on a enchaîné avec un mélange de Zorvec, Héliocuivre et difénoconazole dix jours plus tard en début de floraison. J’étais prêt à positionner un deuxième Zorvec à la fermeture de la grappe, quand la pluviométrie a commencé à se calmer. Alors j’ai préféré appliquer 2,15 l/ha de bouillie bordelaise, 2,9 l/ha de LBG et 0,2 l/ha de Vivando afin de maîtriser tant bien que mal mes IFT. Pour les trois derniers traitements, j’ai juste pulvérisé 0,7 à 1 kg/ha de Nordox pour protéger le feuillage du mildiou mosaïque. »
Après huit traitements, au lieu de cinq les années antérieures, Julien Bourchet a sauvé sa récolte. « À peine 5 % de perte sur l’ensemble du domaine, et avec un programme sans CMR. Mais à quel prix ? », s’interroge-t-il. « Mes IFT et mes quantités de cuivre métal ont explosé. J’ai appliqué 4 kg/ha de cuivre, alors qu’en 2018, je dépassais à peine les 100 g/ha. »
Pour sa prochaine campagne, Julien Bourchet a déjà commandé de la bouillie bordelaise, du LBG et prévu de remplacer Luna Sensation, dont la vente a été suspendue en octobre dernier, par du difénoconazole. « Avant que celui-ci ne se retrouve à son tour classé CMR fin 2025. Parce que c’est aussi ça la difficulté dans la conception d’un programme de traitements sans CMR, les règles du jeu changent tout le temps. C’est épuisant », avoue-t-il.
Face à tant d’obstacles, Julien Bourchet n’espère qu’une seule chose : que la saison 2025 soit sèche et simple à gérer, techniquement et humainement.