igné par une cinquantaine de producteurs français, le manifeste des gnôles naturelles pose douze grands principes. Les piliers : une matière première bio, sourcée localement, « pas d’additifs tels que colorants, sucre, caramel, acide citrique ou glycérine », et surtout « pas de base d’alcool éthylique à 96 % vol., car celui-ci est de fabrication industrielle ». La base doit être le résultat d’une distillation artisanale, réalisée par le producteur lui-même.
Le résultat, c’est une multitude de boissons : eau de vie de fruits, marcs, distillation de genièvre (façon gin), liqueurs aromatisées aux plantes et fruits, whiskies, calvados, etc. Mais aussi une foule de gestes, savoir-faire, traditions régionales, expérimentations, de bricolages, etc., superbement illustrés et racontés dans le livre Naturellement gnôles (éditions Intervalles, 49 €), qui montre la richesse du petit monde de la distillation « nature », en plein boom.


Le mouvement a commencé à se structurer au début des années 2010, autour du livre L’alambic, l’art de la distillation de Mattieu Frécon, distillateur à Faugères. « Quand on a commencé à distiller, il y a dix ans, on pensait que ça n’était que comme ça. Puis on a découvert l’envers du décor du monde des spiritueux », relate Thérésa Bullmann, distillatrice (Atelier du bouilleur, Faugères), co-autrice du manifeste et co-autrice du livre Naturellement gnôles, avec le philosophe belge Laurent de Sutter. Et notamment l’obligation réglementaire d’utiliser une base d’alcool neutre « que seul un procédé industriel permet d’obtenir ». Un comble, pour ces producteurs artisanaux qui souhaitent maîtriser leur process « du champ jusqu’à la bouteille ».
Mais sans cette base, interdit pour ces distillateurs de reprendre certains termes usuels, comme "gin", rappelle Quentin Le Cléac’h. Distillateur à Uzès et signataire de la charte, Quentin est également président de l’association des distilleries indépendantes, née en 2018. L’ADI siège à la société française des spiritueux et échange avec les autorités pour faire évoluer la réglementation, en vain pour l’instant.
Un cran plus engagé que l’ADI, le manifeste des gnôles naturelles n’est pas un cahier des charges ni un label. « On ne veut pas ajouter des contrôles, il y en a déjà trop, explique Théresa. On ne dit pas qu’on y arrive tout le temps, mais c’est comme ça qu’on veut être et on s’engage à être transparent ». Pourquoi gnôles ? « Le mot ramène la boisson à ses racines agricoles, paysannes, artisanales, populaires, loin de l’image "bling" ou d’élite qu’ont parfois les spiritueux. »
Si la démarche ressemble beaucoup à celle des vins naturels, ce n’est pas un hasard. « Nous nous en sommes largement inspirés », explique Thérésa. Les vignerons naturels produisent une « matière première » qui correspond aux valeurs du manifeste… « Et dans leurs prises de risque, il leur arrive d’échouer. La distillation est un moyen ancestral de valoriser une cuvée ratée », explique Quentin Le Cléac’h, qui propose la prestation à de nombreux producteurs. Ces derniers y voient aussi une voie marginale mais pertinente de diversification, un « petit laboratoire d’expérimentations » résume Quentin, d’où resurgissent recettes oubliées et boissons non identifiées, capables de capter l’intérêt d’un public en quête de nouveautés.