écessité fait loi. Effacée par le rejet à l’Assemblée Nationale du projet Projet de loi de finances pour 2025 (PLF), l’avancée fiscale d’un Pacte Dutreil exonérant à 75 % sans plafond les transmissions à titre gratuit (donation ou succession) des terres ou vignes louées à long terme est revenue devant la chambre haute : transformée dans la forme, mais pas dans le fond par la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC). Ce vendredi 29 novembre, le Sénat adopte l’amendement 1304 rectifié qui « propose deux options d’abattement pour encourager la transmission des biens fonciers ruraux » en modifiant le Code Général des Impôts, d’abord par « un abattement de 75 % avec un plafond de 600 000 € [NDLR : et pas 300 000 € comme actuellement], puis de 50 % au-delà, en contrepartie d’un engagement de conservation du bien reçu pendant 5 ans » et ensuite par « un abattement de 75 % jusqu’à 20 000 000 € [NDLR : et non 500 000 € comme actuellement], puis de 50 % au-delà, en contrepartie d’un engagement de conservation du bien reçu pendant 15 ans ».
Soit un important élargissement de l’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit sur les terres agricoles louées par bail à long terme. Porté par le sénateur François Patriat (Côte d’Or, Ensemble Pour la République), cet amendement aurait peut-être évité la cession récente de 1,3 hectare de vignes jusque-là familiales de grands crus de Bourgogne pour 15,5 millions € à LVMH à cause des frais de succession démesurés empêchant la transmission de tante à neveux. « Alors que demain le modèle agricole français devra faire face aux défis du renouvellement générationnel et résister à la pression spéculative importante sur le foncier agricole, cet amendement permet d’éviter les disparitions de milliers d’exploitations familiales qui font la richesse de nos terroirs et la fierté de nos territoires » indiquent dans un communiqué François Patriat avec le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne (Yonne) et le député Benjamin Dirx (Saône-et-Loire, Ensemble Pour la République). Tous trois revendiquant « une action concertée entre le Sénat et l’Assemblée nationale ».
Fiscalité à abattre
Élaboré par la CNAOC, cet amendement rectificatif marque un revirement de stratégie fiscale pour arriver aux fins de la transmission intrafamiliale. « Le déplafonnement total initial étant a priori considéré comme inconstitutionnel, la CNAOC a proposé de rehausser le plafond d’exonération à 75 % actuel de 500 000 € à 20 millions €, contre un engagement de conservation pendant 15 ans » résume la confédération à Vitisphere, défendant un « New Deal fiscal pour renforcer la résilience des exploitations familiales face à la pression foncière et à faciliter le renouvellement générationnel dans un contexte de spéculation accrue ».


« En Champagne, le coût de la transmission du foncier d’une exploitation moyenne représente 5,4 années de son résultat courant avant impôts. Pour un bailleur, il s’élève jusqu’à 28 années de revenus locatifs » pointe Thiébault Huber, le président de la Confédération des Appellations et des Vignerons de Bourgogne (CAVB). Le vigneron de Meursault pointant que « c’est la même chose chez moi en Bourgogne, où certaines parcelles sont évaluées à plusieurs dizaines de millions d’euros, ou encore en Alsace, en Centre-Loire, dans la Vallée du Rhône… » Pour le trésorier de la CNAOC, « comment voulez-vous maintenir le modèle agricole familial si nos enfants s’endettent pendant des décennies ? Comment voulez-vous qu’on investisse dans les marchés export, dans la durabilité, dans du matériel plus performant, si notre résultat est entièrement consommé par les frais de succession ?! »
Commotion de censure
Soutenu par le gouvernement et adopté par le Sénat après que l’Assemblée a exprimé une position similaire, l’amendement proposé devrait connaître « une issue favorable lors des prochaines discussions en commission mixte paritaire, qui interviendra après l’examen du texte au Sénat » avance la CNAOC, qui reste prudente et ne crie pas victoire. Avec les risques de censure du gouvernement de Michel Barnier et d’instabilité parlementaire en résultant, les jeux sont loin d’être faits. Les qualifiant d’« irresponsables politiques », les sénateurs François Patriat et Jean-Baptiste Lemoyne avec le député Benjamin Dirx estiment que les soutiens de la censure du gouvernement « devront assumer demain le chaos qu’ils auront provoqué avec la conséquence très concrète de voir cette mesure comme la prolongation du dispositif TODE [NDLR : exonération pour les saisonniers en Travail Occasionnel Demandeur d’Emploi], la réduction de la fiscalisation sur le GNR [Gazole Non Routier] ou encore la revalorisation du plafond de la DEP [Déduction pour Epargne de Précaution], ne pas être applicables en 2025 ».


« L’adoption de cet amendement au Sénat est une étape importante pour la transmission de nos exploitations » relève Jérôme Bauer, le président de la CNAOC, qui précise « cependant, la victoire n’est pas encore totale. Il reste des discussions cruciales en commission mixte paritaire, où nous devrons continuer à défendre cette avancée. » Appelant les fédérations régionales et les élus de terrain à rester mobilisés, le vigneron alsacien veut « garantir l’aboutissement de ce texte essentiel pour nos territoires, notre modèle agricole et viticole familial et nos générations futures ». Car en somme « c’est avec des petites victoires qu’on gagne des grandes batailles » conclut Raphaël Fattier, directeur de la CNAOC.