l n’a pas hésité : en octobre, Alain Roca, 57 ans, coopérateur à Terrats, dans les Pyrénées-Orientales, à la tête de 20 ha en Côtes du Roussillon, Muscat de Rivesaltes et Rivesaltes, a vendu son exploitation à un arboriculteur. Au préalable, il a demandé la prime d’arrachage définitif concernant 14 ha. Quant aux 6 ha restants, le nouveau propriétaire les donnera en fermage à deux jeunes viticulteurs qui s’installent.
« En cinq ans, mon chiffre d’affaires est passé de 120 000 € à 60 000 €, confie-t-il. Avec la sécheresse que nous subissons, les récoltes s’amenuisent inexorablement. » C’est après les vendanges de 2023 que la décision d’arracher mûrit dans sa tête. Les raisons ? La petite récolte qu’il vient de rentrer, ses problèmes de santé, la dégradation de ses comptes, et le désintérêt de ses deux enfants pour la vigne. « Je suis réaliste : tant qu’on ne réglera pas la problématique de l’eau dans notre département, on ne s’en sortira pas », indique-t-il. L’ouvrier qui travaillait huit mois par an sur son exploitation a pris un virage à 180 degrés : il a suivi une formation dans le bâtiment.
À 25 km de là, à Rivesaltes, Marc Albert, 70 ans, et Daniel, son frère âgé de 60 ans, exploitent 40 ha dans les mêmes appellations et livrent leur récolte à la coopérative des Vignerons des Albères. C’est à contrecœur qu’ils ont décidé d’arracher 2,30 ha de vignes âgées, minées par le dépérissement et la sécheresse. « L’ambiance est morose, lance Marc Albert. Le vin est mal barré. » Les deux frères s’accrochent malgré tout, car Daniel Albert veut poursuivre l’exploitation pendant les cinq prochaines années.
Même son de cloche dans l’Aude, à Monze, pour Cédric Serre, 50 ans, et son père Jacques, 74 ans, coopérateurs à la coop les Vignobles de l’Alaric. « On a fait le dos rond, mais on ne peut pas continuer ainsi », confie le fils. Son père renchérit. « Le prix du vin n’est plus rémunérateur. Il y a trois ans, la coop nous payait 90 €/hl le vin Pays d’Oc. Aujourd’hui, on est descendu à 65 €. On ne peut pas s’en sortir. »
Comme leurs revenus ont baissé, leurs dettes auprès des fournisseurs et des prestataires de services se sont accumulées. En 2023, la banque leur a accordé un PGE à hauteur de 100 000 €. « La situation est très compliquée », glisse Jacques Serre. Alors ils se sont décidés à arracher 20 ha de vieilles vignes. L’avenir ? « Je le vois mal. La crise est devant nous », estime-t-il. Devant son fils Cédric, surtout. « Depuis l’âge de 16 ans, je suis sur la propriété. Je ne sais faire que ça », lâche celui-ci.
À Béziers, dans l’Hérault, Jean-Pascal Pelagatti a demandé la prime pour arracher 6 ha de vieilles vignes qui produisent peu, sur les 30 ha que compte le domaine des Graviers. Une décision mûrie après le gel de 2021 et la sécheresse de 2023, laquelle s’est soldée par une maigre récolte de 950 hl, contre 2 000 hl en temps normal. Mais aussi parce que le négoce auquel il vendait 90 à 95 % de sa production n’est plus preneur. Du coup, il est entré en coop. « Cette année, je n’ai vinifié que 5 ha dédiés au développement de la bouteille et que je revendique en IGP Coteaux de Béziers », explique-t-il.
Afin de négocier ce virage, il a injecté 430 000 € dans la transformation en gîte de l’ancienne habitation de ses grands-parents. Opérationnel depuis l’été dernier, ce gîte fonctionne déjà à plein. Le 4 novembre, il accueillait un séminaire d’entreprise réunissant 20 personnes, avec dégustation de ses vins en soirée. « Ceux qui sauront se diversifier s’en sortiront. Je suis optimiste en ce qui concerne ma situation personnelle. Mais j’ai beaucoup de craintes pour les viticulteurs qui ne restent que sur le vrac. À court terme, ils sont morts. »
En Gironde, pas d’état d’âme pour Yohan Bardeau, 50 ans, coopérateur à Cadillac-en-Fronsadais, en AOC Bordeaux, qui va achever d’arracher ses vignes. « J’apporte ma récolte à la cave coopérative des Hauts de Gironde, explique-t-il. Contrairement à d’autres, cette coop continue de bien fonctionner tout en nous payant moins. Du coup, ça ne couvre plus mes frais. Je ne fais pas de marge. De plus, j’ai du mal à trouver des salariés pour travailler dans les vignes. » Alors, ni une ni deux, il a pris des mesures radicales.
En 2023 déjà, il a arraché 27 ha de ses 40 ha dans le cadre de l’arrachage primé à 6 000 €/ha pour planter des céréales. Cet automne, il vient de demander l’arrachage définitif des 13 ha qui lui restent. Une décision moins douloureuse que pour d’autres viticulteurs. « Je me suis installé en 1997, indique-t-il. J’ai passé ma vie à cultiver la vigne mais je me suis diversifié dès mon installation. J’ai commencé par douze limousines. J’en ai une centaine aujourd’hui. J’ai aussi 60 ha de céréales sur la commune d’Ambes. »
Quel regard porte-t-il sur la filière vin ? « Pour ceux qui ne peuvent pas se reconvertir, ce sera très dur car beaucoup de chais sont pleins alors qu’il n’y a pas de ventes », souligne-t-il. Bref, la mort assurée.
5 417 demandes d’aide à l’arrachage définitif ont été déposées, pour un total de 27 451 ha. Les cinq départements les plus demandeurs sont l’Aude (4 955 ha), la Gironde (4 219 ha), le Gard (4 015 ha), l’Hérault (3 211 ha) et les Pyrénées-Orientales (2 613 ha). Ces dossiers représentent 109,8 millions € d’aide. L’enveloppe affectée à cette mesure étant de 120 M€, il n’y aura ni réfaction, ni dossiers prioritaires.