ans un vignoble où la décroissance du potentiel de production est souvent vue comme un échec personnel, pour ne pas dire une tare familiale, Jacques Lurton l’assume et le répète : « il ne faut pas hésiter à réduire la voilure. Psychologiquement, il faut se dire que ce n’est pas grave, on reproduira dès que ce sera possible. » Le président des vignobles bordelais André Lurton (à l’avenir 150 hectares de vignes en Entre-deux-Mers et 280 ha en Pessac-Léognan) appelle à « être très honnête : il n’y a pas de honte à réduire son activité. C’est compliqué pour tout le monde tant qu’il n’y a pas de relance de la consommation et il vaut mieux ne pas attendre d’avoir les deux pieds dans le précipice pour regretter. »
Ayant déjà réduit de moitié ses surfaces viticoles dans l’Entre-deux-Mers (en appellations Bordeaux et Entre-deux-Mers) sans recourir aux primes à l’arrachage (6 000 €/ha pour le dispositif sanitaire en Gironde, avec obligation de diversification ou jachère/boisement), Jacques Lurton compte continuer à y arracher des parcelles dans les prochains mois en utilisant pour partie le plan d’aide national à 4 000 €/ha (« on ne perd pas l’usage de terre, pour quand il sera possible de relancer la machine »). Virage stratégique majeur : il va anticiper ses arrachages en Pessac-Léognan pour retirer une vingtaine d’hectares de production sur ses 5 propriétés (châteaux Coucheroy, Couhins-Lurton, de Cruzeau, de Rochemorin et la Louvière).
Malthus
En somme à Pessac-Léognan, « il faut réduire la voilure comme les sorties ne sont pas aussi rapides que par le passé. On n’hésite pas à sortir quelques hectares dans chaque propriété » indique Jacques Lurton. « Il ne faut pas hésiter à raréfier le produit. Pessac-Léognan a beaucoup planté ces dernières années, on peut réduire pour ne pas inonder le marché avec des bouteilles à prix cassés. Sinon on détruira 35 ans de travail. » Présidant l’appellation Pessac-Léognan dont son père, André Lurton, a été le fondateur en 1987, Jacques Lurton est devenu une figure bordelaise, tout en conservant un esprit anglo-saxon : « je ne crains pas de me couper un bras s’il le faut ou de faire marche arrière quand il le faut. »


Assumant une approche malthusienne du potentiel de production, Jacques Lurton mise aussi sur la diversification pour réduire le besoin d’arrachage. Des idées de nouvelles utilisations de ses raisins ? « On en cherche toute la journée » sourit-il, déclinant ses rouges en vins pétillants et légers. « Nous avons plein d’idées pour trouver des solutions. Ce n’est pas parce que l’on est à Bordeaux qu’il faut s’enfermer dans le dogme tout AOC » pointe le président d’Organisme de Défense et de Gestion (ODG), ouvert aux nouvelles pistes, mais pas à la tendance de la désalcoolisation. « Pour moi, le vin désalcoolisé c’est une aberration » tranche-t-il, regrettant des outils industriels « énergivores et brutaux », alors qu’après le retrait de l’alcool « il faut tout reconstruire artificiellement, ce qui est idiot, aberrant ».
Pour autant, Jacques Lurton ne refuse pas le concept du produit issu de la vigne sans alcool en lançant son produit 0,0 % : "Oh oui", un jus de raisin de sauvignon blanc en sous-maturité du château Bonnet (Entre-deux-Mers) qui a été dilué à l’eau (pour réduire l’acidité et éviter la sensation pâteuse des jus de raisin classiques) et pasteurisé (70°C pendant 20 minutes pour ne pas utiliser de dicarbonate de diméthyle, le Velcorin). Satisfait du résultat, Jacques Lurton estime que l’« on reste sur un produit qui se rapproche de l’univers du vin et de sa matière première. On peut espérer séduire de nouveaux consommateurs. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de continuer à faire du vin pour le vendre. » Et avoir le vignoble qui suit.