Norbert Latruffe : Je suis biochimiste de formation et le resvératrol est un produit qui m’intéresse depuis 25 ans ou plus. C’est une molécule assez magique compte tenu de ses propriétés, aussi bien au niveau de la vigne que de la conservation de la santé humaine. Alors que je travaillais dans le domaine des médicaments, j’ai été amené il y a une trentaine d’années à gérer administrativement l’Institut de la Vigne et du Vin à Dijon. Mes collaborateurs m’ont fait connaître le resvératrol en particulier, qui est une molécule quasiment unique chez les végétaux. C’est vraiment la molécule de la vigne, même si d’autres espèces en produisent. Quand on connaît ses propriétés de stimulation des défenses de la vigne et ensuite ses effets santé chez l’homme, j’ai éprouvé le besoin de raconter ce qui est une véritable "saga" du resvératrol, sachant que son histoire n’est pas terminée.
L’importance du resvératrol a souvent été sujette à polémique en raison de ses quantités relativement faibles dans le vin par rapport à d’autres antioxydants. Qu’y répondez-vous ?
Effectivement, cela fait partie des échanges entre chercheurs. Si l’on met de côté ses effets chez la vigne, les quantités sont en effet extrêmement faibles chez l’homme. Je me suis donc demandé s’il pouvait y avoir un effet synergique avec d’autres polyphénols contenus dans le vin. J’ai pu montrer expérimentalement que la présence de certains polyphénols pouvait stimuler les effets du resvératrol. Ce qui est moins connu et peut-être un peu plus difficile à expliquer, c’est la théorie de l’hormèse ou plus exactement la xenhormèse, soit l’effet d’une molécule étrangère qui introduit une mémoire dans un système biologique. Le resvératrol se comporte exactement comme un médicament chez l’homme : il va agir en relativement faible quantité et sera transformé rapidement par l’organisme, donc être éliminé. L’hormèse, c’est l’équilibre physiologique d’un organisme ou même d’une cellule. Lorsque cette cellule ou cet organisme est exposé à une molécule ou substance à laquelle il n’a jamais été exposé, il en garde la mémoire. Par conséquent il sera beaucoup plus armée, même en l’absence de la molécule qui a initié cette mémoire, pour se défendre. Grâce à cet effet mémoire, l’organisme n’a pas besoin d’être exposé à de très grandes quantités de la molécule en question.
Vous expliquez plus globalement que le vin contient à la fois "la dote et l’antidote" (le poison et sa solution). De quoi s’agit-il ?
Lorsque l’alcool est absorbé dans l’organisme, il va rapidement se transformer en nutriment en quelque sorte, comme le glucose, puis en acétaldéhyde en contact avec certaines enzymes notamment dans le foie. Cet acétaldéhyde va ensuite entrer dans le cycle classique de production d’énergie. Quand il y a trop d’alcool, l’organisme n’arrive plus à transformer l’alcool par la voie des calories. Il y a en quelque sorte un bypass [NDLR : contournement] qui va utiliser cet acétaldéhyde pour le transformer en radicaux libres, qui sont très toxiques et dégradent tout. Le vin se compose essentiellement et pour simplifier de quatre composants majeurs : l’eau, l’éthanol, les sels minéraux et puis les polyphénols. Le resvératrol, en tant que polyphénol, est un antioxydant très puissant qui va piéger les radicaux libres et donc neutraliser leurs effets délétères dans l’organisme. Ainsi, si on consomme des quantités modérées de vin, notamment de vin rouge, les polyphénols vont piéger les radicaux libres et les neutraliser – c’est la dote et l’antidote.
On a beaucoup évoqué les effets bénéfiques du vin pour prévenir les maladies cardiovasculaires. La diabolisation du vin actuellement semble se focaliser davantage sur le cancer. Que peut-on dire à ce niveau ?
Je me suis penchée pendant des années sur les effets du resvératrol sur les cancers, par des expérimentations en laboratoire et sur des animaux, notamment des rats. L’effet du resvératrol sur les cellules est très net : il y a un effet anti-cancéreux, c’est-à-dire un effet bloquant de la division des cellules cancéreuses. Ensuite, nous avons pris des rats et nous sommes plus particulièrement intéressés aux cancers colorectaux et intestinaux. Lorsqu’on a déclenché des cellules cancéreuses et que les rats ont été exposés à un extrait riche en resvératrol pendant six semaines, on a observé une réduction très nette du développement des polypes susceptibles de devenir cancéreux. Au niveau clinique, des chercheurs anglais ont constaté chez l’homme une stabilisation des cellules cancéreuses voire une légère régression, sans que ce soit spectaculaire. En revanche, il n’y a pas d’effet cancéreux du resvératrol donc il ne peut pas être considéré comme une molécule pro-cancéreuse.
Donc le lien entre le vin et le cancer n’est pas avéré…
Tout dépend de la dose. Or, au niveau français, certains organismes comme l’Institut National du Cancer (INCA) qui refusent de reconnaître l’effet bénéfique du resvératrol et du vin, ne tiennent pas compte de l’effet dose. Quand ils disent que dès la première goutte de vin il y a un risque de cancer, je ne peux pas le croire en tant que biochimiste. On sait que toute substance ou molécule n’a un effet qu’à partir de certaines doses. Mais il y a une telle pression médiatique que les chercheurs qui l’affirment sont très isolés. Il est très clair qu’au sein des organismes français comme le ministère de la Santé, c’est haro sur le vin, et ce n’est pas nouveau. Il y a eu interdiction de publier certains travaux qui démontraient des effets anti-cancéreux du vin. D’ailleurs, le robinet des financements d’études a été coupé en France.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et d’autres organismes ne se penchent pas non plus sur la manière dont le vin est consommé. Quelle est son importance ?
C’est volontaire de la part des opposants au vin, et très regrettable. Que ce soit pour les effets bénéfiques ou les effets délétères, tout dépend de la manière dont le vin est consommé. Nous avons montré que les composés du vin comme l’alcool et surtout les polyphénols sont absorbés plus facilement au cours d’un repas. Pendant le repas, l’alcool sera diffusé lentement et les polyphénols vont être absorbés. Il y a donc un effet dilué, qui n’est pas dangereux. On n’en fait jamais état. Par le passé, une grande revue avait montré aussi qu’au cours d’un repas, juste avant la digestion, il y a une explosion de radicaux libres dans l’estomac, ce qui est très toxique. La présence des polyphénols du vin permet de piéger ces radicaux libres.
Enfin, quels sont pour vous les messages essentiels à retenir autour des effets du vin sur la santé ?
La longévité est un point important à mettre en avant. Si on prend le resvératrol en particulier et qu’on regarde les effets sur la longévité, c’est spectaculaire. Le resvératrol stimule les gènes de longévité. De là à dire que si vous buvez du vin vous serez centenaire, il n’y a qu’un pas qu’on ne franchit pas ! Il y a aussi les effets cardiovasculaires et, qu’on le veuille ou non, les effets antiseptiques, grâce aux deux composés que sont l’alcool et les polyphénols et leur effet cumulatif. Le vin est une boisson multimillénaire et aussi une boisson absolument naturelle. Trouver le poison dans une boisson naturelle n’est pas facile et donc le poison est dans la dose. Cela veut dire qu’une consommation modérée est bonne pour la santé, pour l’ensemble du fonctionnement de l’organisme. Sans parler du fait qu’il s’agit d’un élément de convivialité extraordinaire dans nos sociétés occidentales. Et même si on ne peut pas établir une relation de cause à effet de cette convivialité sur la santé, j’y crois !
Ce 8 novembre, l’association Wine in Moderation coordonne la journée internationale du vin en modération qui incite les amateurs et professionnels à valoriser une culture du vin qui évite les excès. Cette deuxième édition s’articule autour des moments mémorables engendrés par la consommation de vin, que résume l’accroche : « The greatest wine? The one that you will remember » (Le plus grand vin ? Celui qui restera gravé dans votre mémoire). Des événements et activités promotionnelles sont prévus dans différents pays et régions. « Notre objectif est de renforcer notre vocation qui est de permettre aux professionnels et consommateurs de vin de faire des choix responsables », a expliqué le président de Wine in Moderation, Sandro Sartor, PDG de la maison Ruffino.