l est loin le temps où le professeur Serge Renaud expliquait à des millions de téléspectateurs américains qu’une consommation modérée de vin autour d’un régime alimentaire équilibré permettait d’allonger son espérance de vie et de vivre en bonne santé. Pendant les décennies qui ont suivi la diffusion de la célèbre émission sur la chaîne CBS en 1991, la consommation américaine de vin n’a cessé de croître. Jusqu’en 2021 où elle a atteint son niveau record – deux fois supérieur à celui de 1991 – pour ensuite reculer. Les explications de cette inversion de tendance sont certes multiples, mais les accusations de plus en plus véhémentes formulées à l’égard de l’alcool et du vin n’y sont pas étrangères, loin s’en faut. D’après un sondage Gallup publié en août, 45 % des Américains affirment que consommer une ou deux boissons alcooliques par jour est mauvais pour la santé, en hausse de 6 points par rapport à 2023 et de 17 points comparé à 2018.
Un mois propice à la célébration du vin
« J’avais vraiment l’impression que le vin était menacé par les mouvements anti-alcool puissants, des informations erronées et un sentiment général de négativité autour de l’alcool, et du vin en particulier », explique Gino Colangelo, fondateur de l’agence marketing éponyme basée à New York. Au même moment, l’auteure et consultante américaine Karen MacNeil ("The Wine Bible") attirait les foudres des internautes en critiquant la logique anti-alcool du "Dry January". Leur est venue ainsi l’idée de « célébrer tous les aspects positifs du vin, qu’ils soient historiques, culturels, culinaires ou sociétaux » à travers une campagne qu’ils ont baptisée "Come Over October" ("Réunissons-nous en octobre"). Si certains ont critiqué le timing et l’intitulé de la campagne – qui coïncide avec le "Sober October" ou mois d’octobre sans alcool – Gino Colangelo s’en défend : « C’est un bon moment pour célébrer le vin, pendant ou juste après les vendanges. Il commence à faire plus frais et la saison se prête à des fêtes en famille ou entre amis ».
La France représentée par Comité Champagne et Boisset
Contrairement à d’autres campagnes de promotion, il n’y a pas de plan marketing préétabli ni de budget correspondant. « Nous sollicitons le soutien de l’ensemble de la chaîne de valeur autour du vin, les détaillants, producteurs, distributeurs et organismes professionnels. Mais la réussite de la campagne ne dépend pas tant des contributions financières que du déploiement des supports que nous avons créés à titre gracieux, à l’image d’un logiciel en libre accès », précise l’expert en marketing qui est également épaulé par Kimberly Charles, fondatrice et présidente de l’agence Charles Communications Associates à San Francisco. A date, des détaillants de premier plan comme Total Wine, réseau national de plus de 300 magasins, des médias spécialisés comme Wine Enthusiast et VinePair, des organismes de promotion génériques comme Wines of South Africa et Wines of New Zealand, et des entreprises d’envergure comme Jackson Family Wines et Freixenet/Mionetto USA se sont engagés à soutenir l’initiative. Pour la France, le Comité Champagne et la maison Boisset s’y sont associés également.
Une filière en demande de messages positifs
« La réaction de la filière est très enthousiaste et solidaire », se félicite Gino Colangelo. « Aux Etats-Unis et peut-être en Europe, le vin est un produit très particulier : nous subissons l’impact d’informations erronées ou partielles sans pouvoir nous défendre de peur de nous attirer des représailles juridiques. Cette campagne n’évoque que les aspects positifs du vin et crée ainsi une plateforme commune au service de tous ceux qui veulent le célébrer. Nous ne parlons pas des effets bénéfiques pour la santé et prônons la modération et l’inclusion – on peut se joindre à un groupe sans boire de l’alcool. L’élément central porte sur le vin en tant que lubrifiant social à une époque où la solitude est devenue un problème de santé publique. Nous prévoyons de toucher plusieurs millions de personnes ». Et d’ajouter : « Le vin en tant que catégorie doit faire sa promotion comme tout autre produit aujourd’hui. Rien n’arrive de manière passive, l’action est essentielle ».
Un sentiment d’urgence
Des messages clairs et simples, accessibles à tous, sous une seule bannière mais déclinables pour respecter l’esprit de chaque entreprise et participant : tels sont les objectifs de la campagne. Sa pertinence est d’autant plus grande qu’elle intervient en amont de la révision des "Dietary Guidelines" aux Etats-Unis : tous les cinq ans depuis 1980, les ministères de la Santé et de l’Agriculture passent en revue leurs recommandations alimentaires à l’attention du public américain. Depuis trente ans, celles-ci reconnaissent certains effets bénéfiques pour la santé d’une consommation modérée, à savoir deux verres (148 ml/verre) de vin par jour pour les hommes et un pour les femmes. Mais de plus en plus de voix s’élèvent pour remettre en cause la modération, au bénéfice d’une politique qui nie tout bénéfice santé de l’alcool et du vin.
« A partir du moment où l’alcool est assimilé au tabac, la filière vin est en grave danger », martèle Gino Colangelo. Son avis est largement partagé au sein du secteur américain : de nombreuses campagnes ont été lancées ces derniers mois par les poids lourds que sont le Wine Institute en Californie, Napa Valley Vintners, Wine America et le Wine Market Council, dans l’objectif de contrecarrer les messages négatifs pouvant influer sur les recommandations alimentaires. « On a l’impression que ces différentes campagnes ont été organisées et orchestrées conjointement, ce qui n’est pas le cas. Mais au final, on peut parler d’une heureuse coïncidence, que nous sommes tous arrivés à la même conclusion car nous partageons les mêmes valeurs autour du vin ».