n 2023, le Canada a modifié ses lignes directrices pour la consommation d’alcool, réduisant à néant le niveau de consommation jugé sûr (contre 2 verres par jour pour les femmes et trois pour les hommes considérés à faible risque auparavant). Dans le même temps, l’Irlande validait l’application de messages de mise en garde sanitaire drastiques sur les boissons alcoolisées, et d’autres Etats membres de l’UE déclaraient réfléchir à durcir leur politique anti-alcool. C’est dire si les précédents s’accumulent, et avec eux des politiques sanitaires qui prennent une nouvelle orientation dans de nombreux pays à travers le monde.
C’est suite à la mise en application des nouvelles lignes directrices canadiennes que les cabinets américains Colangelo & Partners et Wine Opinions ont décidé de sonder l’opinion publique aux Etats-Unis pour savoir si une modification de l’équivalent américain serait favorablement accueillie par la population, et donc validée par l’Etat. Actuellement, l’USDA recommande de ne pas dépasser 2 verres par jour pour les hommes et un pour les femmes, des recommandations qui doivent être revues en 2025. Dans ce contexte, les conclusions du sondage mené auprès de plus de 2 000 Américains ne sont pas de bon augure pour la filière : « Les jeunes interrogés ont indiqué qu’ils estimaient que des risques sanitaires existaient même à de très faibles niveaux de consommation », précise John Gillespie, fondateur et directeur de Wine Opinions. « Dans la tranche des 21-39 ans, 58 % des personnes interrogées ont considéré que deux verres par jour ou moins représentaient un risque potentiel pour la santé. De plus, une personne sur quatre, notamment chez les 21-39 ans et les consommateurs occasionnels, déclaraient qu’ils se feraient des soucis pour leur santé à partir d’un verre de vin par jour ou moins ». Les résultats de cette étude montrent que les jeunes consommateurs seraient les plus réceptifs à des messages négatifs sur la consommation d’alcool : « L’éventuelle révision des Directives Diététiques Américaines pour la consommation d’alcool par la population adulte pose un réel problème pour le secteur du vin aux Etats-Unis, dont le plus grand potentiel se trouve parmi les jeunes générations », prévient le rapport.
Dans le même temps, l’étude fait ressortir des perceptions extrêmement positives sur le vin : un peu moins de la moitié des personnes interrogées considèrent fortement le vin comme un moyen d’enrichir des contextes sociaux, tandis qu’un tiers d’entre elles se disent persuadées que le vin peut faire partie d’un régime alimentaire sain. Les deux tiers des répondants s’accordent à considérer que le vin et la gastronomie vont de pair, alors que la moitié d’entre eux déclarent que le vin fait historiquement partie de la quasi-totalité des cultures. Malgré ce, Gino Colangelo, président de Colangelo & Partners, se montre peu optimiste : « En ce début d’année 2024, la filière vin est confrontée à plusieurs défis. Personnellement, j’estime que le mouvement néo-prohibitionniste qui se développe et son influence potentielle sur les directives diététiques représente la plus grande menace ».
Il faut dire que la présence des boissons alcoolisées parmi les jeunes générations se réduit comme peau de chagrin. Une autre étude menée en ce début d’année aux Etats-Unis pour le compte de NCSolutions a indiqué que le pourcentage de jeunes âgés de 22 à 27 ans prévoyant d’abaisser leur consommation d’alcool en 2024 a fait un bond de 53% en un an. Soixante-et-un pourcent d’entre eux veulent réduire leur consommation d’alcool cette année, pour 41% des Américains, tous âges confondus (ils étaient 34% en 2023). « Les alternatives non alcoolisées, autrefois une niche, se démocratisent de plus en plus », affirme Alan Miles, directeur de NCSolutions. Son avis est corroboré par une étude britannique YouGov qui montre que près de la moitié des 18-24 ans en Grande-Bretagne consomment des alternatives « no-low », occasionnellement ou régulièrement, contre 31% en 2022. Le distributeur britannique Waitrose acquiesce : les ventes de boissons sans alcool ont fait un bond de 50% en janvier dans ses magasins pour cause de « Dry January ».
Ces conclusions ne se limitent pas aux seuls pays anglo-saxons. Une étude menée par l’analyste britannique IWSR sur dix marchés clés* révèle que 64% des consommateurs modèrent désormais leur consommation d’alcool, une part qui monte à 75% parmi la Génération Z et 70% parmi les Millennials, contre 60% de la Génération X et 54% des Boomers. Pour l’IWSR le goût de la modération n’est pas l’unique motivation de cette tendance : la baisse du pouvoir d’achat n’y est pas étrangère. La « modération économique » comme facteur joue désormais un rôle primordial sur 11 des 15 marchés clés étudiés par l’IWSR contre 7 auparavant, l’Europe étant plus impactée que l’Asie. Reste à savoir si une remontée du pouvoir d’achat entraînera une augmentation de la consommation. Pour Richard Halstead, directeur des opérations auprès de l’IWSR, « le développement de la modération, notamment chez les jeunes de la Génération Z, signifie que les entreprises devront adapter leurs stratégies à long terme pour cibler des consommateurs plus soucieux de leur santé. C’est une tendance qui va probablement se poursuivre, tout simplement parce que les gens sont en train de modifier leurs habitudes de vie ».
*Australie, Brésil, Canada, France, Allemagne, Japon, Espagne, Afrique du Sud, Etats-Unis et Royaume-Uni