uel est votre bilan du millésime 2024, une nouvelle équation entre petits volumes de vin qui ont coûté cher à produire et marchés toujours aussi incertains où l’on parle au mieux de maintien des cours…
Damien Gilles : Nous n’avons pas aujourd’hui toutes les précisions sur la récolte, nous n’avons que le ressenti vigneron. Il est sûr à quasiment 100 % que nous allons enregistrer la plus petite récolte de l’histoire des Côtes-du-Rhône. Pour le millésime 2024, nous avions décidé de ne faire que 41 hl/ha [de rendement], nous savions que dans tous les cas nous ne ferions pas une récolte supérieure à l’an dernier. La difficulté du millésime 2024, c’est le mildiou, mais aussi quelques accidents climatiques isolés, de la grêle sur certains secteurs. On prévoit une récolte déficitaire par rapport à l’année dernière. Sur les blancs et sur rouges, l’année dernière, nous avions produit 1,7 million d’hectolitres. Je pense que l’on peut estimer la baisse à -10 ou -15 % sans trop s’avancer. Je préfère être prudent, notre appellation est très grande et les vendanges se sont finies très tard, la semaine dernière pour certains.
L’appellation des Côtes-du-Rhône va-t-elle produire plus qu’elle ne commercialise ? Quelles sont les premières tendances du marché cet automne ?
Nous avons commencé à avoir des sorties de chais à +26 % en septembre 2024 par rapport septembre 2023 (qui était en baisse de 20 %). Nous avons une dynamique qui s’inverse totalement chez nous. Je suis certain que cela vient de tous nos efforts, faits par le syndicat, les vignerons et les vigneronnes depuis plus de deux ans, pour porter une adéquation entre commerce et production. Nous avons été solidaires et attentifs face à la distillation : nous viticulteurs n’avons pas reculé et y sommes allés en détruisant quasiment 200 000 hectolitres, 20 % de notre production annuelle, à des prix traumatisants pour nous. En 2023, les sorties de chais étaient en retrait, mais les contractualisations étaient en hausse. Nous avons vendu plus de vin en 2023 qu’en 2022 et par rapport à la moyenne des trois dernières années.
Nous voyons effet de la stabilisation sur nos marchés, alors que nous étions en décroissance de contractualisation depuis quelques années (+8 % sur l’année dernière, +1 % par rapport à la moyenne des trois ans). Les trois segments augmentent leurs contractualisations : Côtes-du-Rhône et villages avec ou sans nom de commune (pour un total de 1,1 million hl, dont 800 000 hl d’AOC Côtes-du-Rhône). Par contre, il y a quand même le revers de la médaille, qui est une dégradation précipitée du prix moyen. Puisque nous perdons une dizaine d’euros à l’hectolitre par rapport à l’année précédente et 24 €/hl par rapport aux trois années précédentes. Beaucoup de vins sont passés malheureusement en dessous de 100 €/hl.
Cette performance commerciale de septembre peut-elle être liée à un besoin de trésorerie/déstockage pour les vendanges ?
On parle d’une augmentation des sorties de chais spectaculaire, que l’on n’aura jamais pensé aussi importante. Que les caves aient besoin de faire de la place, honnêtement ça doit faire partie de cette situation. Mais il y a une autre tendance à mettre en évidence : les marchés de la Grande Distribution (GD) ont eu un petit regain d’activité. Comme la GD est très présente pour notre appellation, ça impacte les marchés et nos sorties. Dans la diminution des volumes mise en marché par la GD, nous enregistrons une baisse moins importante que le rayon vin en général (qui est entre -5 et -6 % quand nous sommes à -2 %). La mécanique de notre distribution est stable, elle est même en légère profession, ce qui peut expliquer la dynamique des sorties de chai nous sommes assez surpris, mais que l’on espère voir durer alors que nous poursuivons nos efforts d’adaptation de notre production.
Est-ce un signe de rééquilibrage de l’offre et de la demande ?
L’équilibre entre l’offre et la demande est atteint. Nous allons vendre plus de vin que nous n’en avons produit cette année. À moins d’un cataclysme mondial. L’optimisme est là. Pour preuve, l’année dernière nous avions 430 000 hl de stock libre à la vente, aujourd’hui, nous avons 150 000 hl de libre à la vente. Ce qui fait 2 mois de commercialisation. Pour une AOP à 85 % rouge, j’appelle ça un stock outil et il ne faut pas tomber en dessous, sinon ce serait une pénurie pour le marché. Nous sommes dans une situation d’équilibre retrouvé que les vignerons attendaient impatiemment pour voir le résultat de leurs efforts après de petites récoltes. Ce que je regrette le plus, c’est que le marché dans sa globalité a compris cette situation et une petite part de notre marché nous trahit encore.
Lors de sa foire aux vins, Lidl a proposé à 1,74 € la bouteille de Côtes-du-Rhône, est-ce la "trahison" à laquelle vous faites référence ?
Aujourd’hui, notre interprofession très bien structurée, notre commercialisation en Côtes-du-Rhône et Côtes-du-Rhône Villages c’est un peu plus 450 000 hl en GD française (hyper, super, proxy et drive, hors hard-discount). Sur ce marché, on a prix du col moyen constaté en linéaire autour de 3,95 € TTC en juillet : +2 à +3 % par rapport à l’année dernière, nous réussissons à augmenter le prix de distribution, malheureusement sans revalorisation du prix de l’hecto. Nous voyons diminuer les ventes des premiers prix, des Marques De Distributeurs (-4 % pour les MDD), alors qu’augmentent les marques de châteaux et domaines (+4 %). On voit que la GD française met un repère acceptable en niveau de prix : 4 € la bouteille, ce n’est pas totalement déconnecté en termes de réalité de marché pour une AOC volumique rouge sur un marché en déconsommation. C’est assez fort.
Ce qui est aujourd’hui totalement impensable, et traumatisant pour tous nos viticulteurs, c’est de trouver une bouteille de Côtes-du-Rhône à moins de 2 € sur les linéaires. Cette trahison de mise en rayon est inentendable. La bouteille de vin à 1,39 €, c’est une déclaration de guerre ! Nous ne pouvons pas accepter que notre image soit salie comme cela. Nous ne pouvons pas imaginer que la communication de Lidl sur un Côtes-du-Rhône à 1,39 € soit ancrée dans l’esprit du consommateur. Il n’y a pas que Lidl, les autres hard-discounteurs sont dans cette logique. Dans une crise viticole aussi forte, française et mondiale, voire de telles perturbations après tant d’efforts, c’est une déclaration de guerre. Je ne pense pas que les viticulteurs vont laisser passer ça. Mais ce n’est qu’un ressenti.
Un aperçu de la page 39 du catalogue Lidl du vendredi 18 au dimanche 20 octobre 2024.
Avec vos confrères de Bordeaux, vous portez le sujet du prix rémunérateur pour revaloriser les vins : avez-vous pu l’évoquer avec la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, que vous avez rencontré ce jeudi 17 octobre à Avignon, lors du salon Medagri ?
J’ai porté deux messages : l’arrachage et l’évolution de la loi Egalim. Ce que j’ai apprécié, c’est que la loi Egalim est une demande partagée par tous les intervenants de la table ronde : coopération, vignerons indépendants, syndicats à vocation générale… C’est un sujet partagé par toute la filière vitiocle française. La ministre a bien compris que c’était une nécessité d’y arriver le plus rapidement possible pour permettre le rebond et redonner de l’espoir dans la viticulture. Elle a compris le sujet.
Je suis un peu plus peiné sur sa réponse concernant l’arrachage définitif au-delà des 30 000 hectares actuellement financés. Elle botte en touche. Je comprends que la situation financière extrêmement perturbée du pays elle n’ait pas de chèque en blanc, qu’elle ne peut pas nous promettre monts et merveille, mais j’aurai aimé qu’elle s’engage à trouver toutes les solutions possibles pour répondre la demande. Je ne pense pas qu’il soit possible que nous ayons un coefficient stabilisateur sur l’arrachage. Toute demande doit être honorée d’une façon ou d’une autre. Ça va être compliqué après des années de bataille de dire à des vignerons que vous n’y aurez pas droit. Cela va générer de la tension, de la frustration et de la colère dans un vignoble qui n’en a pas besoin. L’arrachage est le point zéro pour prendre concrètement une nouvelle direction et redonner espoir avec le plan de flière qui est construit collectivement.
Damien Gilles et Annie Genevard ce 17 octobre à Avignon. Photo : Syndicat des Vignerons des Côtes-du-Rhône.
Vous demandez l’arrachage de toutes les surfaces candidates pour mener à bien un plan social et/ou assurer l’efficacité de la réduction du potentiel de production ?
C’est bien évidemment un enjeu social. Les gens qui sont trop traumatisés par la situation doivent pouvoir sortir dignement, même si 4 000 €/ha n’est honnêtement pas digne. C’est le minimum pour pouvoir rembourser les encours, les dettes et essayer de rebondir le mieux possible. Derrière, il faudra revoir le potentiel de production pour ceux qui restent. Les gens ont compris qu’il n’y avait pas besoin de produire autant de vin. Dans peu de temps, j’espère pouvoir challenger l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) sur des rendements au-delà de 55 hl/ha pour avoir une meilleure rentabilité
Pour adapter momentanément la capacité de production, quelles sont vos demandes sur l’arrachage temporaire ?
Au-delà des 30 000 ha définitifs, la ministre a déclaré sa volonté de travailler l’arrachage temporaire. Je suis assez satisfait de cette réponse, même si elle a émis beaucoup d’inquiétudes sur la sortie rapide et probable de ce dispositif. Peut-être qu’aujourd’hui le Plan Stratégique National (PSN) permet de faire des choses que nous n’avons pas exploré dans sa totalité. Il serait possible que la filière prenne conscience d’un intérêt à prendre une orientation différente sur le budget à venir.
Au sein du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, il va y avoir des débats sur le financement de l'arrachage temporaire par le volet de la restructuration. Mais dans ce cas-là, il faudrait des arbitrages en défaveur d’autres postes (promotion, investissements…).
Bien évidemment, il y a une enveloppe très limitée, il y aura forcément des arbitrages à ce niveau-là. Il faut que le travail démarre le plus rapidement possible. Mais qu’il s’engage en adéquation avec le plan de filière. L’arrachage donnera un nouvel état des lieux sur ce que nous sommes capables de pouvoir produire et écouler. Je pense réellement que la crise est en passe d’être finie, mais les traumatismes seront lourds à porter avec des échos pendant encore des années. Les trésoreries ne vont pas se remettre en positif dès demain. Dans les Côtes-du-Rhône, il n’y a pas encore de cotation du millésime 2024, mais il y a un regain : nous le sentons dans les premiers échos de demande du négoce et du courtage. Nous ne voyons déjà plus de propositions en dessous de 100 €/hl, nous voyons des blancs très dynamiques et des demandes sur les rouges déjà très anticipées, alors que l’appellation n’a fini de vendanger que la semaine dernière. Nous sommes encore tous sous marc. Avec un millésime de qualité, dans l’ADN des Côtes-du-Rhône après des millésimes très solaires, nous avons des vins aux degrés maîtrisés, ce que demandent les consommateurs et donc on tape dans le mille.
Concernant la fragilité économique des trésoreries que vous évoquez, quels sont les outils pour soutenir les finances du vignoble : des prêts garantis évoqués par le gouvernement ou un pacte de consolidation porté par les Vignerons Indépendants ?
Je suis tout à fait en adéquation avec mon collègue président des Vignerons Indépendants de France, Jean-Marie Fabre. Les prêts garantis sont nécessaires, et très attendus. Je pense aussi que cela pourrait remettre du dialogue entre les banques et les vignerons, après une petite fracture ces derniers mois. Par contre, trois ans c’est trop court, il faut au moins 10 ans pour nos trésoreries qui sont tellement tendues.
À Bordeaux, la tendance des procédures collectives s’accélère. Qu’en est-il dans la vallée du Rhône ?
Nous avons un petit peu de retard par rapport à la situation bordelaise, que je ne peux qu’accueillir avec désarroi. Nous sommes dans une situation plus modérée. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de liquidation en cours ou qu’il n’y en aura pas, mais nous avons moins d’alertes sur le sujet. Par contre, les cabinets comptables nous laissent prévoir que s’il n’y a pas d’arrachage n’est pas disponible pour certains, ils sont certains à 100 % qu’ils enregistreront des hausses de procédure.