es vendanges 2024, le vignoble roule les bennes et les yeux au ciel alors que les premières offres d’achat annoncées en Languedoc agacent. Depuis la fin août, « de premières offres de courtiers et de négociants arrivent, avec des prix au ras des pâquerettes, comme à la fin de la dernière campagne » esquisse Ludovic Roux, le président des Vignerons Coopérateurs d’Occitanie, qui vient de signer un communiqué demandant très diplomatiquement au négoce d’être moins opportuniste et de plus jouer collectif (voir encadré). Répétant que l’avenir de la filière tourne autour de sa rentabilité, le viticulteur des Corbières (Aude) veut concrètement remettre le marché à plat.
D’abord pour que les acheteurs actent la réduction des rendements et l’augmentation nécessaire des cours : « on va avoir l’une des plus petites vendanges de l’histoire, aux alentours de 2021, c’est catastrophique. Sur une aussi petite récolte, il impossible de ne pas partir sur des prix qui se raffermissent. On dit stop aux négociants et courtiers qui participent à la mort de la profession » résume froidement Ludovic Roux. Qui s’adresse ensuite aux caves particulières et coopératives ayant du vin en vrac à vendre : « ne vous précipitez pas [sur les premières offres] attendez la fin des vendanges pour voir le signal du marché. » Une attente en forme d’espoir, car « si les prix ne montent pas, à quoi bon travailler ? Ce sera fini psychologiquement. Les prix ont déjà dévissé avec l’inflation » alors que les coûts de production ont flambé et que les rendements ont chuté constate Ludovic Roux, qui ne se fait pas d’illusion sans rétablissement du marché : « sinon, on va crever ».


« Nous sommes aussi des producteurs, nous comprenons leur détresse. Nous sommes dans la même barque » réagit Jean-Claude Mas, le président de l'Union des Entreprises Viticoles Méditerranéennes (UEVM), qui n’aime pas distinguer les négociants et les producteurs dans le Languedoc, mais préfère parler d’hommes du vin unis comme les maillons d’une même chaîne*. Indiquant comprendre la colère des « gens des vignes » qui sont accablés par la pression administrative et ne valorisent pas leurs vins, le gérant des domaines Paul Mas (Montagnac, Hérault), prévient que le négoce ne va pas pouvoir résoudre les problèmes de valorisation, les subissant aussi.
« Malheureusement, on subit le marché. On ne peut pas faire de miracle » prévient Jean-Claude Mas, pour qui « on découvre aujourd’hui qu’il faut une stratégie pour la région. On a souvent parlé de stratégie de production, il faut aussi parler de stratégie de commercialisation. J’en parle d’autant plus librement que mon entreprise est un échantillon du Languedoc. » De son expérience, le président des négociants languedociens estime qu’« il faut une stratégie de production vertueuses et rentable. Cela passe par des vignobles bien entretenus, avec des coûts de production adéquats pour que nous puissions mettre en marché [des vins] de manière plus efficace et que l’on donne en retour des orientations à la production pour produire les vins qu’il faut, sur le long terme. Mais dire aujourd’hui que l’on va modifier les prix… Il est très délicat de s’engager sur cette route. »


Un rappel à la loi du marché qui ne semble pas convaincre dans les caves coopératives. En demandant une valorisation des cours, « on ne parle pas hors-économie » pointe Ludovic Roux, ajoutant que l’« on sait très bien que l’on ne peut pas compenser la baisse de récolte par le prix. Mais il n’est pas acceptable qu’il n’y ait pas une hausse significative du prix. Que chacun prenne sa part dans les difficultés. Sans solutions pérennes pour augmenter le prix de nos vins, c’est l’alarme, le SOS avant la catastrophe : on a l’iceberg devant, il faut donner coup de volant sinon on va tous couler. » Martelant que « le mot central, c’est la rentabilité », le viticulteur audois appelle à une stratégie de filière pour « vendre les vins un peu plus chers, il faut un mouvement de fond pour monter en gamme ». Et redonner de la marge alors que la petite offre de vin 2024 pourrait tendre la demande des marchés ces prochains mois.
Pour Jean-Claude Mas, la valorisation s’active plus par le développement de la demande que par la réduction de l’offre : « la demande existe à l’étranger, il faut s’y attaquer de manière sérieuse et efficace, sans y aller de manière dispersée. Il y a des gisements de marges et de rentabilité. Il faut redonner la place que mérite le vin : civilisationnelle, mystique, sacrée. Il faut revenir aux fondamentaux. » Soulignant que de petites variations à la hausse ou à la baisse de la consommation de vin peuvent générer la surproduction comme la pénurie, le président de l’UEVM est persuadé qu’« il faut d’abord convaincre le consommateur que le vin est bon au palais, pour l’estomac et pour l’esprit. Arrêtons le bashing sur le vin, cela fait partie d’un art de vivre qu’il faut promouvoir. Là, nous aurons la possibilité comme metteurs en marché de vendre plus et peut-être d’acheter plus cher. »


Si l’hygiénisme ciblant la consommation de vin ne manque pas d’être critiqué par les vignerons, l’urgence est d’abord pour eux de survivre. « On vit une catastrophe » pose Ludovic Roux, qui témoigne personnellement d’un millésime marqué par une sécheresse poussant la vigne dans ses derniers retranchements : « un tiers de ma propriété est à arracher, avec des vignes où il n’y a que 10 cm de végétation. Des vignes ne sont pas récupérables à cause de la désertification que l’on voit dans les Pyrénées-Orientales, l’Aude et une partie de l’Hérault. » Si à la violence des aléas climatiques s’ajoute des prix indécents, des domaines finiront en cessation de paiement et leurs propriétaires seront désemparés : « disons-le clairement, on a très peur des suicides. On va vivre des choses compliquées. Chacun doit agir : les pouvoirs publics ont nos demandes, le négoce doit prendre sa part » avance le président des Vignerons Coopérateurs d’Occitanie, qui le reconnaît : « je sais que le négoce souffre. Mais il faut faire des efforts. Le risque existe que la première économie de la région s’écroule. »
« Le négoce souffre » déclare justement Jean-Claude Mas, qui appelle à regarder « les comptes de résultats [des négociants], ils ne sont pas beaux à voir. Les marges se sont effondrées. Je ne vois personne qui ne souffre pas » dans la filière vin. « J’aimerais partager la manne de mes marchés, mais je compte mes sous » ajoute-t-il. Si production et négoce sont dans le même bateau, un nouveau cap peut-il être imposé aux acteurs de la distribution avec une obligation de valorisation type Egalim ? « Nous sommes dans une économie de marché. Et on ne dicte pas la loi au marché. Regardez la loi sur les délais de paiement, il y a toujours une raison pour être payé en retard… Je ne crois pas une seconde qu’une loi puisse s’imposer au marché » balaie Jean-Claude Mas.
Après un début d’année tendu, de nouvelles manifestations et actions vigneronnes ciblant des négociants pourraient éclater d’un instant à l’autre dès que les vendanges seront achevées… Appelant au calme dans un esprit de filière travaillant ensemble (voir encadré), Jean-Claude Mas conseille à ceux en ayant besoin pour survivre de se faire aider. Et à tous de prendre de la perspective : « je suis motard : quand vous roulez et que vous ne regardez pas devant, vous vous prenez un trou dans la route et vous ne prenez pas bien le virage ». Le président de l’UEVM en est persuadé : « devant nous, il y a tout un marché à conquérir. Travaillons ensemble, il y a tellement de gisements de productivité dans la filière (en investissant l’argent moins dans l’arrachage et plus dans la conquête de marché, en renouvelant les cépages, en optimisant les rendements…). Nous sommes nés dans une région bénie des dieux pour la production de vin. On fait le plus beau métier du monde. Les vignes sont le jardin à la française du XXIème siècle. » Une envolée lyrique pour que le vignoble lève le nez du guidon. A moins qu’il ne sente la (métaphore) motarde lui monter au nez…
* : Pour Jean-Claude Mas, les notions de négoce et de production sont « archaïques », préférant parler dans le Languedoc d’« homme du vin. Il doit y avoir une confusion : je ne suis pas producteur, je ne suis pas négociant, je suis homme du vin. Je me sens autant producteur que négociant. Et l’un a besoin de l’autre. »
Dans un communiqué daté du 16 septembre, les Vignerons Coopérateurs d’Occitanie appellent le négoce à la « coopération avec la filière pour des relations commerciales gagnant-gagnant et un avenir commun durable ! » Pointant que « la récolte 2024 qui s’annonce faible va engendrer des conséquences économiques désastreuses au sein du vignoble et des exploitations agricoles ainsi que pour nos outils coopératifs qui ont, jusque-là, jouer le rôle d’amortisseur social », le communiqué interpelle « les acteurs du négoce à qui nous demandons de stopper les logiques court terme et de s’engager dans la durée aux côtés de la filière ». Les caves coopératives préviennent que sans avancées (sous-entendues de valorisation des cours), « la pression du terrain deviendra explosive et non maîtrisable. Il est indispensable que l’ensemble de la chaine de valeur travaille de manière unie ! »
Dans un communiqué de réponse publié ce 18 septembre, l'Union des Entreprises Viticoles Méditerranéennes annonce que « les maisons de négoce apporteront leur connaissance des marchés et leur analyse dans la stratégie de la filière vin ». Affichant sa bonne volonté, l’UEVM ajoute que « nous devons travailler de concert pour proposer les styles de vins adaptés et intégrer les nouvelles occasions de consommation. Ensemble, nous devons agir sur plusieurs axes stratégiques pour préserver l’avenir des vins du Languedoc et de ses acteurs. » Concrètement, « l’UEVM participe aux travaux de la filière vin régionale et renouvelle son engagement pour travailler au cas par cas sur la construction de modèles éthiques et efficaces ».