e définissant comme « négociant issu de la production », Pierre Bories a été élu le 28 juin à la présidence du CIVL (Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc) avec deux ambitions fortes : faire rapidement l’union avec les AOC récemment parties et mettre en place une stratégie de conquête de parts de marché. Venu à la viticulture il y a 25 ans après une carrière dans la finance, il succède à Christophe Bousquet dont il salue la vision et l’engagement.
Quelques semaines encore avant votre élection, votre nom ne faisait pas partie des possibles candidats. On parlait même d’un nouveau mandat pour Christophe Bousquet…C’est en effet assez récent. Les choses se sont accélérées alors que j’étais en tournée commerciale aux Etats-Unis il y a quelques semaines. L’idée de ma candidature venait d’être évoquée et j’ai profité de ce voyage pour affiner ma réflexion et définir les points sur lesquels je souhaitais m’engager, notamment sur les aspects que je savais bloquants pour la production. C’est mon objectif premier : refaire l’union avec la production. C’est la tâche à laquelle je vais consacrer toute la période estivale. Etant arrivé au négoce par la production, c’est sur la base d’une feuille de route respectant ces valeurs du lien avec la production que j’ai donné mon accord pour être le candidat du collège négoce. Les premiers échanges que j’ai pu avoir avec les responsables d’ODG membres du CIVL me confirment leur intérêt autant pour mon profil associant négoce et production que pour cette ligne d’union.
Jusqu’aux vendanges, je laisse une grande porte ouverte aux échanges avec ceux qui sont sortis de l’interprofession pour envisager leur retour. L’objectif de ces deux mois est d’effacer des années de disputes et d’incompréhension pour cosigner une feuille de route d’union en septembre.
Outre cette union, quelles sont vos priorités ?La ligne de ma feuille de route est simple : une stratégie agressive de prise de parts de marché. Quelle que soit l’issue de ces discussions à la fin de l’été, je ne me consacrerai ensuite plus qu’à tracer cette stratégie pour qu’elle soit finalisée et présentée d’ici fin 2024. Dans cette stratégie, le travail sur l’export doit permettre de flécher chaque AOC vers les marchés sur lesquels elles peuvent gagner des parts de marché. La baisse de consommation globale fait que la gâteau est en diminution, bien qu’encore très conséquent, pour une forte concurrence, il faut donc être agressif pour aller chercher des parts de marché.


Je suis passé en 25 ans de nouvel arrivant sur un domaine de Corbières avec quelques salariés et sans marchés à 1,5 millions de bouteilles à 80% en AOC, 8 millions € de chiffre d’affaires et 48 collaborateurs. Mon activité de négoce ne repose que sur des partenariats de l’approche artisans-partisans. Je travaille à 74% à l’export sur des demandes haut de gamme et depuis que j’ai commencé, le Languedoc n’a subi que des crises successives tous les trois ans. Je me considère comme une machine de guerre pour aller chercher les marchés en temps de crise.
Avez-vous déjà une idée des contours de cette stratégie ?La consommation baisse car les nouvelles générations de consommateur ne stockent plus les vins, contrairement à ce que pouvaient faire les baby-boomers, pour au contraire une consommation immédiate, pour des vins plus chers. Le Languedoc a les appellations pour répondre à cette demande, avec une offre de prix qui permet d’être compétitif pour prendre des parts de marché. L’environnement économique actuel est compliqué, parsemé de conflits dans quasiment tous les secteurs géographiques stratégiques de l’Europe au Pacifique. Dans le même temps, cette crise génère des opportunités extraordinaires, car cette combinaison de superbes qualités des vins du Languedoc avec des prix très abordables sont les clés de construction de la stratégie agressive de prise de parts de marché. Là est la priorité. D’autant que le Languedoc perd plus de parts de marchés que les autres régions dans cette période de crise, et ce sans raison vraiment explicable. La perte de la génération de consommateurs des baby-boomers oblige à parler à plusieurs autres générations en même temps pour gagner des parts de marché. C’est une opportunité pour le Languedoc, dont le territoire et les vins sont capables de parler à toutes ces générations.
Quelle va être la méthodologie de travail ?Aucun intérêt d’engager des stratégies dont on ne sait pas si elles peuvent être efficaces. L’idée sera donc d’avancer via une méthode de ‘test and learn’ pour ne proposer que des axes d’engagement qui ont été testés et validés sur le terrain. Nous allons commencer par beaucoup de réflexion et d’analyse, en utilisant de l’intelligence économique, de la prospective, de la donnée économique et du ciblage. Le travail de mise en commun des données économiques du CIVL et InterOc par le biais d’InterSud va dans ce sens. Il va également permettre de cibler les points faibles de nos concurrents pour analyser les marchés sur lesquels progresser. Nous n’allons pas demander de mettre des moyens avant d’avoir défini une stratégie que nous exposerons fin 2024. Il y aura ensuite toute la phase de tests et d’essais de ces options stratégiques et de ciblage, pour en déployer que ce qui fonctionne vraiment, et flécher les entreprises vers les marchés qui leur correspondent. Nous pourrons ensuite discuter de moyens de promotion à compter de 2025, car les orientations budgétaires sont déjà définies jusque-là.
Quels sont ces moyens, avec la perte des CVO de Corbières ou Fitou ?Le budget a diminué mais la mandature de Christophe Bousquet a permis de réduire les frais de fonctionnement du CIVL, et aller chercher des financements complémentaires, si bien que le budget de communication a été maintenu. Il y a cependant des moyens européens de promotion à aller chercher, avec des financements pour la région bien moindres que dans d’autres zones de production.
Comment voyez-vous le désintérêt croissant pour les vins rouges, pierre angulaire de l’offre de vins en Languedoc ?Je parlais de gâteau pour imager le marché, dont la taille se réduit plus rapidement sur les vins rouges que les blancs, mais il n’empêche que cela reste un très gros gâteau. Il est donc plus facile de garder des parts de marché sur les blancs, mais il ne faut pas se limiter à les garder, il faut augmenter leur proportion relative. Pour les rouges, il en va de même : on n’est pas obligés de perdre des parts de marché, même si le gâteau diminue, car nos vins ont toutes les qualités requises pour exister. Le négoce a justement une grande connaissance des profils à mettre en avant sur les différents marchés. Et la commission technique mise en place par le biais d’InterSud a également vocation à faire redescendre de la logique technique vers la production.


La stimulation prix pouvait avoir un effet levier sur les générations précédentes, une baisse de prix entraînant mécaniquement plus d’achat. Les jeunes consommateurs ne fonctionnent pas de même, en étant réceptifs à l’histoire qui est racontée, la qualité, la dimension oenotouristique… Nous avons les moyens d’aller chercher des parts de marchés pour concurrencer les belles appellations mondiales à prix plus élevés. Nos prix sont bas, si nous parvenons à cibler nos production sur plus de haut de gamme. Cela génèrera plus de marge pour la production, et par conséquent plus de budgets pour le marketing.