e jeudi 22 août, la cour d’appel de Bourges condamne à 33 000 euros (« 25 000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique » plus 8 000 € de frais de justice) la vigneronne du Beaujolais Isabelle Perraud, présidente de l’association féministe Paye Ton Pinard, pour diffamation du vigneron de Sancerre Sébastien Riffault, figure du vin naturel, qui demandait 260 000 € de réparation de préjudices matériels* après la republication en juin 2022 d'accusations de violences sexuelles au Danemark sur Instagram. La cour d’appel confirme le jugement du 2 juin 2023 par le tribunal judiciaire de Bourges, qui avait retenu la diffamation et condamné Isabelle Perraud à verser 27 421 € de dommage et intérêts (24 421 € de préjudice économique et 3 000 de frais de justice) et refusé la publication d'un communiqué judiciaire sur le compte Instagram d'Isabelle Perraud (comme « les publications litigieuses ont été retirées du compte Instagram @paye-tonpinard » et que « cette publication ne serait pas opportune eu égard à la forte médiatisation du procès » indique le jugement).
Le jugement d'appel confirme notamment « le caractère péremptoire des propos tenus » par Isabelle Perraud, alors que « la Cour de cassation juge que la nécessité de faire respecter le principe de la présomption d'innocence requiert une exigence particulière de prudence dans l'expression ». Pour la cour d'appel, le compte Paye Ton Pinard, dans ses publications incriminées des 16 mai, 14 juin et 15 juin 2022, « affirme sans nuances » que Sébastien Riffault « "a harcelé, agressé et violé plusieurs femmes" et le qualifie d'"agresseur" » et ajoute qu'avec la phrase « "on met en avant la présomption d'innocence. Jamais celle de la culpabilité", Isabelle Perraud ne rappelle pas le principe de la présomption d'innocence, mais ironise sur son application » pour la cour d'appel. Si les propos sont jugés péremptoires, le dossier permet cependant « de considérer qu'Isabelle Perraud, qui n'est pas une professionnelle du journalisme, a procédé à suffisamment de recoupements et qu'elle disposait d'une base factuelle suffisante pour tenir les propos litigieux à l'encontre de Sébastien Riffault » nuance la juridiction, qui rapporte que la vigneronne du Beaujolais « a été en contact avec une journaliste, des lanceuses d'alerte et une personne affirmant avoir été témoin direct d'une agression sexuelle ».


Avocat de Sébastien Riffault, maître Eugène Bangoura rapporte que son client est « très satisfait de la décision rendue par la justice, laquelle condamne à nouveau le caractère diffamatoire des propos de madame Perraud ». L’ancien bâtonnier ajoute que Sébastien Riffault ne veut « plus faire d’autres commentaires tant il est las de ces procédures ». Cette affaire judiciaire n’étant pas finie, loin de là. D'une part Isabelle Perraud étudie la possibilité de se porter en cassation, d'autre part elle indique qu'une plainte a été déposée au pénal par une sommelière suédoise pour agressions sexuelles contre Sébastien Riffault, avec en réaction une procédure de dénonciation calomnieuse du vigneron contre la plaignante rapporte l’association Paye Ton Pinard. La défense de Sébastien Riffault ne souhaite pas commenter.
Comme après la première instance, Isabelle Perraud et ses soutiens rejettent cette condamnation en dénonçant un procès bâillon à rebours de la libération de la parole sur les Violences Sexistes et Sexuelles ouverte par le mouvement MeToo. « Cette condamnation est un message fort envoyé aux victimes de violences sexuelles et aux lanceurs et lanceuses d’alerte qu’ils et elles doivent se taire. Metoo est en danger » indique Isabelle Perraud, qui étudie la possibilité d’un pourvoi en cassation avec un avocat spécialisé. Sans attendre, une cagnotte a été lancée fin août par l’activiste toulousaine Sophia Antoine pour payer les frais d’avocat** d’Isabelle Perraud. A date de rédaction ce 5 septembre, 120 dons ont récolté 6 600 € (sur un objectif de 30 000 €).
« Ce sont des combats comme celui- là qui font avancer les lois, les jurisprudences, qui doivent évoluer en faveur des femmes » explique Isabelle Perraud, pointant qu’« à l'annonce de cette condamnation, le monde du vin, des amateurs et amatrices s'est très rapidement manifesté en adhérant en masse à l'association. Le mouvement féministe aussi a tenu à manifester son soutien très rapidement. »


« Ces procédures bâillons sont faites pour nous épuiser financièrement, moralement et nerveusement et de pousser à l’autocensure. On en a l’exemple parfait dans cette procédure » avance la vigneronne bio du Beaujolais. Pour la vice-présidente du syndicat de défense des vins naturels, « cette condamnation est très lourde. Pour exemple, [la réalisatrice] Andréa Bescond a été condamnée à 2 000 € de dommages et intérêts [NDLA : pour avoir qualifié un athlète de "violeur" fin 2022] et le Metoo de la musique a été relaxé pour des publications semblables [NDLA : avec des relaxes définitives en cassation au printemps 2022]. Ça pose un problème que la justice ne soit pas cohérente***... »
Avec 500 adhérents et 10 membres actifs au quotidien, l’association Paye Ton Pinard fondée en 2020 (via un compte Instagram) « résistera tant que toutes le pourront. Quand l’une de nous va mal, car les sujets sont violents et éprouvants, c'est toutes qui la soutiennent. "On est plus fortes ensemble", telle est la devise de Paye Ton Pinard! » poursuit Isabelle Perraud. « Je sais que la plupart des femmes attendent beaucoup de Paye Ton Pinard. Nous nous devons de continuer d’avancer » expose la vigneronne, pointant que « chaque jour nous prouve que le travail à réaliser est énorme pour que les femmes soient respectées dans ce monde du vin composé essentiellement d’hommes ».
* : Durant la procédure de deuxième instance, le vigneron « expose que ses ventes de vin se sont effondrées à compter du mois de juin 2022 à la suite des publications diffamatoires » rapporte le jugement, Sébastien Riffault « fait valoir que les ventes non réalisées sont définitivement perdues et qu'il n'est pas certain que la clientèle revienne vers ses vins » alors que « son chiffre d'affaires était de 1 054 212 euros en 2019, 926 329 euros en 2020, 1 108 320 euros en 2021, 737 094 euros en 2022 et 331 466 euros pour les neuf premiers mois de 2023 ». Mais faute des « trois derniers mois de l'année 2023 ainsi que pour les premiers mois de 2024, de même que des indicateurs plus représentatifs, tels que le résultat net, pour l'appréciation de son préjudice économique », la juridiction estime qu'« il ne peut être exclu qu'une partie de la baisse de chiffre d'affaires soit due à des circonstances extérieures aux rumeurs ayant circulé ». La cour d'appel a retenu « une responsabilité arrêtée à 25 % des pertes subies ».
** : Ce qui n’est pas illégal d’après les textes, qui visent plutôt le paiement des condamnations. Un sujet au cœur d’un autre dossier judiciaire emblématique pour les lanceurs d’alerte, celui de l’activiste antiphyto Valérie Murat poursuivie par 26 institutions et opérateurs des vins de Bordeaux.
*** : Au-delà de son affaire, l’enjeu est plus systémique pour Isabelle Perraud : « la justice n’a jamais pris en compte la parole des femmes. Elle condamne seulement 0,6 % des agresseurs sexuels quand les femmes ont le courage d’aller déposer plainte. MeToo a permis une libération de la parole des victimes d'agressions sexuelles (femmes et enfants) mais la justice n’entend toujours pas qu’un viol a lieu toutes les 7 minutes en France. Et que dans la majorité des cas, les femmes victimes de féminicide avaient déposé plainte. »