L'expérience est une lanterne que l'on porte sur le dos et qui n'éclaire jamais que le chemin parcouru » disait Confucius. Alors que les commercialisations tanguent depuis 2022, la filière charentaise se questionne sur ses choix stratégiques, des rendements aux plantations nouvelles, calculés par le Business Plan interprofessionnel. En somme, « a-t-on trop produit ? A-t-on trop planté ? » posent de récentes vidéos du Bureau National Interprofessionnel de Cognac (BNIC), qui ne répondent pas franchement à la question, mais donnent des éléments de langage pour décrypter les tendances actuelles.
« Depuis plusieurs mois, le Cognac connaît un ralentissement important de ses expéditions lié au contexte géopolitique et économique mondial » pose dans sa vidéo François-Gaël Lataste, le directeur du pôle économique du BNIC, pour qui « cela n’a rien d’inédit pour notre filière dont l’histoire a toujours été marquée par des fluctuations liées au contexte géopolitique et économique mondial et impactant ses résultats ». C’est même cette succession cyclique de hauts et de bas qui « a conduit la filière Cognac à se doter de moyens solides lui permettant de coordonner ses grandes décisions pour atteindre le cap qu’elle se fixe pour le long terme. C'est notamment le rôle du Business Plan Cognac, outil de pilotage et de coordination » fixant annuellement les besoins d’eaux-de-vie pour répondre aux marchés.


Nourri d’études économiques et autres projections internationales, « le business plan est un outil de pilotage et d’aide à la décision […] mais il n’est pas capable de prévoir les périodes de surchauffe, des crises sanitaires ou économiques » indique dans sa vidéo Richard Costa-Savelli, co-président de la commission économique du BNIC. Le directeur général de Courvoisier souligne que l’outil a fait ses preuves par le passé, mais que ses prévisions « ont été très chahutées, à la hausse comme à la baisse, durant ces dernières années » alors que la forte performance export du Cognac (98 % des expéditions) l’expose aux incertitudes internationales (coups d’arrêt covid, inflation de l’invasion russe en Ukraine, enquête antidumping chinoise…).
L’après covid
« Les marchés internationaux se sont transformés depuis le covid » résume Julien Massé, co-président de la commission économique du BNIC. Pour le viticulteur en fins bois, la baisse des ventes survenue mi-2022 « fait encore sentir ses effets malgré une stabilisation fin 2023. C’est le double effet d’un épisode économique exceptionnel lié au covid : changement du mode de consommation, complications logistiques et surstockage, confinements stricts et longs en Chine, inflation généralisée notamment sur notre premier marché les États-Unis. » Un retournement de marché inattendu et concernant tous les spiritueux répète le BNIC.
Affichant sa foi dans le développement des spiritueux hauts de gamme à terme, le négociant Richard Costa-Savelli reconnaît que dans la filière cognac « nous devons gérer une situation difficile pour tous dans le court terme ». S’il y a actuellement une « période d’ajustement » confirme Julien Massé, le bouilleur de cru souligne que « le business plan restera un bel instrument de coordination et d’aide à la décision qui permet aux familles de la viticulture et du négoce de se retrouver pour prendre ensemble des décisions compliquées autour de données objectives et partagées. Cet instrument ne nous dictera pas tout » dépendant des hypothèses et données injectées.


Le Business Plan « n’est pas une boule de cristal, il n’est pas fait pour prédire l’évolution des marchés et encore moins les crises économiques, sanitaires ou géopolitiques à venir » abonde François-Gaël Lataste, y voyant « d’avantage un GPS qui nous indique dans un contexte de croissance donné le parcours le plus approprié pour atteindre nos ambitions de développement ». Alors, « a-t-on trop planté ? » Le directeur du pôle économique du BNIC défend son bilan avec la courbe des expéditions 2003-2023 où les « cycles de croissance et de baisse » forment « une dynamique globalement ascendante » pour un modèle qui « a répondu en tous points à nos prévisions de rendements et d’extensions jusqu’en 2022 » pour accompagner la croissance du marché américain de 2014 à 2019. Ensuite, l’histoire se complique
« 2022 a été une année charnière », elle « reste la deuxième meilleure année de l’histoire du Cognac, mais c’est aussi le moment où nos expéditions arrêtent d’augmenter et commencent à baisser » à partir de septembre résume François-Gaël Lataste, rappelant que la demande de plantations nouvelles du printemps 2022 de 3 129 hectares a été déposée quand « tous les signaux sont au vert »*. Le temps que les signaux de baisse d’octobre deviennent des inquiétudes en décembre, « il n’était plus possible de réviser notre demande de plantations nouvelles » rapporte l’économiste, rappelant que la filière charentaise demande aux pouvoirs publics de pouvoir « retarder sans pénalités les plantations d’hectares attribués en 2022 et non plantés ». Mais avant 2022, Cognac a-t-il trop planté ? « Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions » disait Confucius.
* : Idem pour le rendement 2022 de 14,73 hl AP, « validé dans le contexte de croissance que nous connaissions à l’époque ».