abitués aux dégustations devant des mers de vignes, les visiteurs du château Grand Puy Ducasse vont pouvoir accompagner leurs verres de cinquième grand cru classé en 1855 d’un panorama sur l’estuaire de la Gironde, la propriété du Crédit Agricole ouvrant pour la première fois ses portes aux visiteurs sur les quais de Pauillac. Accueillant ses premiers touristes depuis la fin juillet, la propriété de la banque verte compte mettre à profit son emplacement atypique pour se différencier et attirer. Après « 10 ans de réflexion et 3 ans de chantier », la propriété s’est centrée sur son ancrage historique sur les quais comme particularité patrimoniale à préserver : « depuis 1820 au moins nous vinifions sur les quais de Pauillac » rapporte Marine Lemmens, la directrice de la communication et du marketing pour CA Grands Crus Vignobles & Services (dont les locaux sont basés à Bordeaux et plus au château).
Démarrant il y a 200 ans avec 4 hectares de vignes, la propriété s’est dotée de 40 ha actuellement qui sont éparpillés sur 60 parcelles autour de la propriété. Accueillant son cuvier de vinification et chai d’élevage à Pauillac, la propriété a aussi bien fait cinéma que Rotary Club et même secrétariat de la Commanderie du Bontemps dans le passé pour diversifier ses revenus et se maintenir à flot. S’ouvrant désormais à l’activité touristique, le château Grand Puy Ducasse a soigné son parcours avec dans son aile un pôle touristique (accueil, boutique…), dans son logis des salons en enfilade pour incarner les temps forts de l’histoire de la propriété (d’un salon Louis XIV pour la création du domaine en 1675 à un salon art-déco pour le développement commercial moderne) et une capacité réceptive modulable (chambres, cuisines…).
Cuvier suspendu
Clou de la visite, son outil de production s’inscrit dans la tendance des cuviers modernes : une approche gravitaire et parcellaire. Avec 46 cuves de vinification (contre 27 avant), le château a doublé son nombre de cuves tout en gardant la même emprise au sol grâce à un esthétique cuvier suspendu. Ces cuves tronconiques inversées sont directement venues de l’expérience du consultant Hubert de Boüard, qui a doté ses propriétés de la rive droit d’outils semblables. Chez Grand Puy Ducasse, la spécificité repose dans l’absence de murs porteurs (il s’avère qu’aucun mur existant n’est droit…) et le recours à des piliers (répartis entre les cuves), ce qui permet un dispositif aérien et lumineux (avec des ouvertures sur les côtés des murs).
Une impression de cathédrale, dont les saints patrons sont des éminences œnologiques baptisant les 7 cuves en béton : Jean-Antoine Chaptal, Emile Peynaud, Henri Mares, Denis Dubourdieu, Pascal Ribéreau-Gayon et Louis Pasteur. D’autres cuves affichent des prénoms de personnalités liées à la propriété. Deux chais d’élevage sont présents au rez-de-chaussée et au premier étage, donnant ensuite sur la dégustation et sa vue sur les quais de Pauillac. Incarnant l’histoire de la propriété dans son outil technique, la visite est aussi marquée par de nombreuses sculptures en céramique et métal à des hirondelles dont les nids étaient présents au début des travaux. œuvre signant la philosophie de la propriété, un tag réalisé par le graphiste Raphaël Bats lors de l’inauguration annonce à l’étage : « pour longtemps et pour toujours ». Les nouveaux atours souhaitant ajouter un chapitre aux chroniques de Grand Puy Ducasse et pas écrire un nouveau livre.


Ayant repris la propriété en 2004 à Cordier-Mestrézat (en même temps que le château Meyney, à Saint-Estèphe), le Crédit Agricole a redonné les moyens à son cru classé de rester dans la compétition et de se diversifier (les montants de l’investissement ne sont pas communiqués). Techniquement, le nouvel outil de production permet de gagner en précision depuis le millésime 2023, sans que cela se traduise par une meilleure valorisation à date (en primeur, château Grand-Puy Ducasse est sorti à 23,4 € la bouteille, -21 % par rapport à 2022). « L’idée est de le valoriser à terme. Il faudra plus de temps » partage Anne Le Naour, la directrice générale du château Grand Puy Ducasse, pour cet investissement permet au domaine de rester dans le jeu des vins : « si rien n’était fait, on en sortait. On arme la propriété pour apporter une réponse partielle aux défis des grands crus classés distributifs dont nous faisons partie. A la boutique on va vendre des vins livrables, renforcer le lien entre le consommateur final et la propriété. Un des écueils du système de distribution bordelais, c’est de ne pas créer de lien direct entre consommateurs et propriétés. »
Et comme « dans le business, ce qui compte c’est l’emplacement, l’emplacement et l’emplacement » martèle Anne Le Naour, le cru classé compte bien mettre à profit son positionnement, si pratique pour les expéditions d’antan sur les quais et désormais mis à profit par une offre se voulant touristique avant d’être œnotouristique. Tout en participant au réveil de Pauillac. « Je suis persuadée qu’il fallait une initiative pour insuffler une nouvelle dynamique » pointe la directrice, alors que d’autres projets sont en cours sur les quais (notamment l’hôtel des Vignes et des Anges, quatre étoiles).
Stratégie d’image
En termes de communication, « l’outil doit servir de caisse de résonnance pour Grand Puy Ducasse en liant l’expérience de dégustation à une visite qualitative. Toute bouteille qui sera vendue à la boutique sera bien vendue, mais elle ne sera pas seulement bue, elle rapportera une histoire avec elle » pointe Anne le Naour. La distribution classique des grands crus de Bordeaux étant « chahutée », la propriété compte se différencier par son accueil de visiteurs et son outil de production. « Le plus grand symbole d’ouverture c’est le changement de la grille » pointe la directrice, notant que par le passé les ferronneries épaisses et le muret fermaient la vue du château depuis les quais. Depuis l’ouverture, « des personnes du coin nous ont dit qu’elles n’avaient jamais vu ce château. On ne le voyait pas avant ! » rapporte-t-elle. Désormais bien visible, la propriété veut aussi être attractive.
Idéalement placé pour les expéditions sur le fleuve, le château n’avait jamais été ouvert au grand public. Photo : Victoria Hebrard.