e 26 juillet, le tribunal de commerce de Cahors place plusieurs de vos sociétés en redressement judiciaire. Quelles sont les structures concernées ? Que s’est-il passé ?
Bertrand Gabriel Vigouroux : Il s’agit de tous les pôles viticoles et commerciaux qui sont liés. L’origine du problème est relativement simple : depuis 2019, Cahors subit les aléas climatiques de manière assez forte et régulière. La maison Vigouroux n’a pas échappé à ce tumulte. Nous avons perdu l’équivalent de deux récoltes en 5 ans. Nous avons perdu 14 000 hectolitres sur une production annuelle de 7 000 hl. Soit plus de 2 millions de bouteilles, qui ont disparu avec les aléas climatiques.
Nous avons tout pris : le gel, le mildiou, la grêle et la sécheresse. 2024 est aussi un millésime compliqué. Nos deux vignobles du château Mercuès et du château Leret Monpezat ont été fortement touchés par le gel, on y estime la récolte à 10 hl/ha. C’est très sévère après des rendements à 10-15 hl/ha en 2023. Nous avons tenu le choc contre le mildiou.
Dans ce moment difficile, nous nous sommes battus pour trouver des solutions financières. La famille a fourni des efforts, les banquiers aussi, mais on s’est retrouvés asséchés et désarmés pour affronter la crise que traverse en ce moment la viticulture. Nous manquons de ressources financières à un moment où l’on ne peut pas se le permettre. En accord avec nos financiers, nos fournisseurs et les équipes, j’ai demandé au tribunal de commerce de placer le groupe sous sa protection. En redressement pour pouvoir aller jusqu’aux vendanges 2025. Il faut de la longueur pour aménager les solutions. On en aura, il n’y a pas de doute là-dessus, nous mettrons en œuvre un plan de redressement.
J’espère retrouver le chemin de l’activité économique et des bons équilibres financiers. C’est dans l’intérêt de tout le monde. Nous avons fait beaucoup d’efforts de premiumisation et de montée en gamme pour avoir un vignoble moderne. Ce qui a été cruel, c’est le cumul des aléas climatiques tombés sur Cahors.
Contrairement à la sauvegarde, le redressement judiciaire témoigne d’une cessation de paiement. Est-ce le cas pour vous ?
Il y a une cessation de paiement. Nous avons une trésorerie qui était objectivement très basse. C’est moi qui ai sollicité le redressement, nous avons la chance dans ce pays d’avoir des outils pour donner l’opportunité aux entreprises de se retourner et de rebondir.
C’est l’effet combiné de la flambée des coûts de production, de la chute des rendements et du manque d’activité commerciale qui cause ce redressement ?
Ce sont trois éléments. Le plus impactant est de loin l’aléas climatique. Notre programme cultural vise 45 hl/ha, nous sommes tombés autour de 25 hl/ha ces 5 dernières années, c’est un choc très fort. L’adversité et la perturbation du marché sur l’entrée de gamme mettent les marques en souffrance. Elles sont plus bataillées et l’inflation perturbe la consommation. Alors que la premiumisation marche très bien sur nos châteaux de Mercuès et de Haute-Serre qui sont en bonne progression. La premiumisation marche.
Mais il y a une crise mondiale qu’il ne faut pas oublier. La baisse d’activité de notre métier s’est amorcée au moment où les taux d’intérêt ont été quasiment multipliés par dix. Vers juillet 2022, les frais financiers ont monté partout dans le monde. Comme nos métiers portent des stocks, toute la chaîne a connu un choc financier : que ce soit le producteur, le négociant, le distributeur, le restaurateur… Depuis, toute la supply chain n’a pas cessé de gérer la baisse de ses inventaires. L’effet ciseau sur nos marges et nos comptes d’exploitation est important : les stocks sont remontés et les écoulements de la production ont stoppé. Dans ce contexte, les banquiers ne peuvent pas être au rendez-vous des structures qui, comme nous, ont investi dans les ressources humaines, dans la premiumisation, dans la conquête de parts de marché qui coûte cher… On était à contre-temps.
Se multipliant dans tout le vignoble français, les procédures collectives semblent toucher de plus en plus de structures dont les stratégies de production sont données gagnantes pour l’avenir. Est-ce que l’audace ne paie pas et fragilise même ?
L’agilité n’est pas le point fort de notre métier. On plante des vignes pour longtemps, on ne vend pas le millésime de l’année à Cahors, on est clairement dans le contre temps. Tous ceux qui font des efforts d’adaptation se fragilisent face aux mutations et peuvent se retrouver piégés par le contexte. C’est notre cas. Et c’est douloureux après tout ce que l’on a fait comme efforts.
Vous œuvrez depuis 35 ans à la montée en gamme et à la reconnaissance des vins de Cahors, est-ce un vrai coup dur ou une simple épreuve de parcours ?
Je considère que la vie des affaires n’est pas un long fleuve tranquille. Sinon ça se saurait. Il y a toujours eu des mutations de marché et notre maison a déjà évolué depuis sa fondation en 1887. Cahors n’est pas une AOC facile, je cois dans le travail de cuvées iconiques pour retrouver la reconnaissance de grands crus comme au XIXème siècle. Le berceau du malbec doit avoir son haut de gamme. Je reste très confiant sur ma stratégie, elle ne va pas changer demain. Sauf sur un point. La premiumisation nécessitant un minimum de surfaces, la politique engagée de réduction d’hectares va se poursuivre. Il faut des vignes qui supportent les aléas climatiques dans une réflexion agronomique et économique. Il faut oublier de faire de la viticulture sur les parcelles trop gélives. Ou être sûr d’avoir des moyens de lutte efficaces. Sur 150 hectares en propriété, 50 (soit 30 %) ont été arrachés et vont continuer de l’être. C’était le plan déjà acté pour quitter les vins d’entrée de gamme comme nous n’avons plus de besoin en vins basiques.
Votre redressement va donc accélérer votre réduction des volumes pour augmenter la valorisation.
On va essayer d’être résilients et de partager ce cap avec le mandataire et les équipes. Notre plan de premiumisation continue. Même en redressement, un hectare de vigne qui ne rapporte pas continue de coûter. Le point de bascule pour moi est l’inflation de 2022-2023 qui a mis certains hectares d’AOC en dehors des perspectives économiques. L’inflation a mis des vignes AOC hors marché, elles n’ont plus de rentabilité et plus d’espoir d’en avoir. Quand les rendements baissent et que tous les coûts montent, vous perdez le marché ciblé quand le prix de revient passe au dessus du prix de vente. C’est ce qui alimente l’arrachage des petits prix à Bordeaux, dans la vallée du Rhône, dans le Languedoc et à Cahors. On le voyait arriver, maintenant on va juste gérer les finances pour revenir à la normale.
Vous avez présidé l’Union Interprofessionnelle des Vins de Cahors, pensez-vous qu’il y ait eu des occasions et alertes manquées par la filière pour évoluer structurellement quand il était temps ?
On peut toujours refaire le passé. Et on le refait toujours mieux quand les erreurs sont passées et plus faciles à observer ! Un certain nombre d’erreurs ont été faites à Cahors et ailleurs. On a planté trop de vignes, on a saturé le marché mais on n’a pas pu créer la valeur nécessaire pour assurer les investissements dans les infrastructures, le marketing et la bataille du marché pour placer ses vins aux 4 coins du monde. Les vins français ont pris beaucoup de retard sur les marchés. Pour avoir un grand pays viticole comme la France, avec sa richesse terroirs, il faut un marché domestique fort. On le voit s’affaiblir actuellement, c’est très inquiétant.
Cahors a toujours surproduit par rapport à sa capacité de créer de la valeur. Ce qui a créé la spirale infernale de réduction des volumes. Nous sommes actuellement 3 300 ha contre 4 000 ha dans les années 1980. Et on parle maintenant de 1 000 ha à arracher. Nous avons eu trop de volumes, c’était trop lourd à porter et les négoces historiques sont partis. Cahors a perdu sa force commerciale en perdant son négoce. Je fais partie des gens qui aiment les choses équilibrées. Une AOC qui gagne est structurée sur la cave coopérative, les vignerons et les négociants metteurs en marché. Je l’ai dit quand j’étais président, ce n’est pas le négociant ni le vigneron qui fait le prix : c’est l’équilibre offre/demande. Le commerce est ainsi depuis la nuit des temps. Et cet équilibre est très difficile à gérer.