Jean-Claude Mas: La notion de commerce ne doit pas être une honte, comme un mal français qui voudrait que seule la production est noble et le reste se place en-dessous. Il faut rendre ses lettres de noblesse à l’activité de mise en marché… Mon père me disait que mon métier est différent du sien : il a passé sa vie dans ses vignes et ne comprenait pas ce que je faisais réellement, pensant en retour que je ne comprenais pas moi-même ce que lui faisait. Notre syndicat UEVM n’a réellement commencé à se structurer que depuis 5 ans, en décidant de nous financer et multiplier nos cotisations par 10, sous l’impulsion de Gilles Gally afin que nous ayons une parole qu’on puisse entendre.
Entre baisse de consommation et valorisation en berne, comment se positionne la filière languedocienne ?
La filière en général est composée de 5 métiers distincts : viticulture, vinification, élevage-assemblage, conditionnement, et enfin mise en marché-marketing. Si viticulture et vinification peuvent être des métiers associés, assemblages et élevage relèvent d’une autre philosophie, un autre métier. Nos organisations syndicales doivent se structurer pour exceller dans chacun des métiers, car le Languedoc est historiquement un acteur majeur de la production de vins dans le monde, parmi les meilleurs. Comme tout le monde, nous devons faire face à une baisse de consommation, doublée d’une concurrence féroce. Notre objectif est simple : vendre ce qu’on est capable de produire, mais surtout créer de la richesse. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais nous avons une estimation : il reste aujourd’hui 300 millions € de valeur à créer pour la filière viticole régionale. On parle de concret, là, d’économie. Comment aller les chercher pour que la production vive et soit rentable ? C’est un travail à mener main dans la main avec la production, et c’est un travail que je mène au quotidien.
Quels sont les leviers pour aller chercher cette valeur ?
Il sont au niveau des marchés, et la réussite passera par l’exportation dans autant de marchés qu’il y a de pays. Le Languedoc s’y est fait connaitre en entamant sa révolution dans les années 1980. Aujourd’hui, il y a 7 grandes typicités de consommateurs, partout dans le monde, quel que soit le marché. C’est la proportion et la répartition de ces types de consommateurs qui diffère selon les marchés. Comment s’y prend-on pour développer tous ces marchés et s’adresser à ces différents types de consommateurs ? On définit une pyramide hiérarchique, avec des niveaux de prix, une stratégie marketing, comme on le fait sur chaque marché où l’on se présente pour proposer une offre qui réponde le plus efficacement possible aux attentes d’un marché. Cela passera nécessairement par le regroupement de beaucoup de budgets de promotion.
Nos concurrents producteurs du nouveau monde ont les mêmes problématiques que nous, mais ils les gèrent avec un angle différent. Ils ne raisonnent que par le compte de résultat et le bilan financier de l’année, alors que nous avons une approche patrimoniale qui nous permet de travailler sur du temps long.
Vous représentez le négoce tout en étant un producteur important…
Ce point lexical entre production et négoce me gêne, qui a tendance à mettre en opposition, alors que nous sommes avant tout des maisons de vins. Sur les 25 millions d’équivalents 75 cl que je mets en marché chaque année, 35 % proviennent de mes vignes, 45 % d’achats de raisins, 10 % de partenariats avec des caves, et enfin 10 % d’achats de vins en vrac. Je partage exactement les mêmes soucis que les autres acteurs de la filière.
Dans une entreprise, les services doivent travailler ensemble, et c’est la même chose dans la filière, il nous faut travailler main dans la main. Cela passera par les hommes et femmes prêts à discuter. Notre place de négoces metteurs en marché est au centre d’un « pull and push » d’échange d’informations permanent entre amont et aval. Nous faisons remonter l’information à la production de ce qu’attend le marché tout en expliquant au marché les capacités et possibilités de production.
Comment abordez-vous la baisse de consommation de vins et l’émergence de vins moins ou pas alcoolisés ?
La modération est un comportement naturel de consommation du vin, car le vin n’est pas une boisson synonyme d’alcoolisme. Le vin fait partie d’une dimension bien-être, tout en étant un élément de civilisation, en phase avec une consommation modérée et raisonnable. Je ne fais pas de vin dans les codes NoLo car pour moi le vin n’a qu’une définition, celle qu’on a toujours connu, point.