lors que la mobilisation des électeurs pour le scrutin européen de ce week-end ne semble pas être au rendez-vous, quels sont les enjeux de ce vote pour la CEVI ?
Samuel Masse : A quelques jours des élections, nous portons un message simple. Il est important de se mobiliser dans ces élections comme agriculteurs, et viticulteurs en particulier. L’échelon européen est le plus important au niveau de la Politique Agricole Commune (PAC). Plus de 50 % de notre réglementation agricole est issue de l’Europe. Les projets FEADER et LEADER utilisent des fonds européens dans nos territoires… L’agriculture étant certainement le secteur le plus directement concerné par les politiques européennes, les agriculteurs, et en particulier les viticulteurs, sont très conscients de l’importance de l’Union Européenne.
La seule chose problématique, c’est un certain fonctionnement de la Commission Européenne qui peut être perçue comme étant très technocratique et bureaucratique. On a vécu son hermétisme sur son incapacité à dialoguer en raison de son éloignement du terrain. Peu mis en avant, le travail mené par le Parlement permet d’obtenir des avancées. Mais la CEVI étant dans la bulle européenne, nous sommes au fait de ces progrès, qui peuvent paraître banals mais ont un impact énorme sur les Accords de Libre Echange, sur le social, sur l’immigration… honnêtement, le secteur agricole est de plus en plus dépendant de la main d’œuvre étrangère.
Cette déconnexion de la bulle bruxelloise des réalités du terrain était très visible lors des débats sur la réglementation pour la réduction de l’usage des phytos (règlement SUR). En témoigne le rapport jugeant acceptable la réduction de 50 % des phytos et de 28 % des rendements viticoles français…
Je suis très à l’aise pour parler du Green deal comme j’étais aux Jeunes Agriculteurs en 2019 [NDLA : comme vice-président du Conseil Européen des Jeunes Agriculteurs, CEJA] quand on a vu les orientations prises par la Commission et la pression mise par un Parlement qui n’avait jamais été aussi vert dans son histoire. Au-delà de l’ambition, les orientation prises par le Green Deal étaient déconnectées de nos capacités réelles à les mettre en place. Ces chiffres aberrants ne font aucun sens pour une mise en action claire. Réduire de 50 % nos phytos quand nous viticulteurs sommes déjà au minimum n’a pas de sens. En tant que citoyen européen, j’ai parfois du mal à comprendre les décisions du Parlement ou de la Commission européenne, qui font preuve de naïveté et ne permettent pas d’améliorer la situation.
Le règlement SUR est actuellement suspendu, comme les débats sur l’étiquetage sanitaire des boissons alcoolisées ou les mesures de rétorsion contre les véhicules électriques chinois qui inquiètent cognac et les vins européens…
Ce n’est pas plus mal d’attendre la nouvelle Commission plutôt que de vouloir faire passer des choses qui n’auront plus de sens dans les prochaines semaines. Sur le fond, nous demandons une cohérence européenne, nous avons besoin d’harmonisation dans la réglementation. On nous parle beaucoup de simplification, on en est demandeurs, mais elle ne se fait jamais dans le sens des agriculteurs, allant dans le sens de l’administration. Cela nous pèse, en particulier du point de vue des vignerons indépendants européens, qui n’ont pas la capacité de maintenir une agriculture familiale , structurée en petites et moyennes entreprises des territoires, avec une telle charge administrative.
En termes de distorsion de concurrence, le vignoble du Sud de la France s’émeut régulièrement des importations de vins espagnols.
Il y a une distorsion de concurrence avec les Etats Membres où sont utilisées des matières actives qui nous sont interdites. Les Vignerons Indépendants vendent bien souvent leurs vins directement aux consommateurs créant de la valeur ajoutée d’une manière originale, différente. La monnaie commune et l’absence de frontières sont indispensables à notre commerce et il ne faut pas avoir l’impression que ce sont des acquis. Ce n’est pas le cas. Nous sommes pratiquement les seuls à défendre un guichet unique pour les droits accises sur la vente auprès des particuliers. Ce serait une opportunité formidable.
En matière de distorsion de concurrence, les vignerons se plaignent souvent du zèle de FranceAgriMer dans le traitement de leurs demandes d’aides, sans appliquer pleinement le droit à l’erreur administrative.
Le droit à l’erreur est acquis au niveau de l’Union Européenne. Il est clair qu’il faut avoir la cohérence au niveau de l’administration qui traite les aides européennes. Pas seulement au niveau de FranceAgriMer, mais aussi régionalement pour les aides bio par exemple avec des retards de plusieurs mois qui sont très problématiques.
Listés dans votre manifeste, quels sont les principaux dossiers chauds pour la CEVI à Bruxelles : arrachage, nouvelle PAC, réglement SUR, messages sanitaires, tensions géopolitiques…
Déjà, on ne part jamais d’une feuille blanche. Beaucoup de dossiers sont déjà initiés. Pour les enjeux de santé, on se rend compte que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) renforce une approche très anglo-saxonne de la prévention contre la consommation d’alcool. On sera vigilants pour que la santé publique ne se trompe pas de combat : le vin reste un produit agricole attaché à la terre, aux territoires et à la culture. Le changement de consommation, moins mais mieux, fait sens pour l’avenir de la profession. Nous Vignerons Indépendants adorons ouvrir nos portes et il faut soutenir l’œnotourisme. Les enjeux géopolitiques sont forts pour conquérir de nouveaux marchés en faisant notre promotion. Aujourd’hui, le respect des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) se limite à l’Union Européenne. Les autres pays ne les utilisent que quand ça les arrange, comme on l’a vu lors du conflit Boeing-Airbus. Nous avons besoin d’une Europe moins attentiste et plus proactive. Il faut être fort sur la prospection de marchés et savoir faire preuve de protectionnisme envers nos secteurs économiques comme l’agriculture et la viticulture.