arques phare des Côtes de Gascogne, "Premières grives" et "Dernières grives" du domaine de Tariquet (Éauze, Gers) sont des vins IGP bien connus des cavistes et restaurants (à coup de vitrophanies et d’ardoises des menus), mais dédaignant les réseaux de la grande distribution (du moins en vente en direct). De quoi laisser la place à des concurrents malins, comme la marque de négoce "faute de grives, je bois du merle" lancée en 2017 par les vignobles Laur (Floressas, Lot) ? Une alternative ayant rencontré le succès, en ayant commercialisé 792 225 bouteilles de vins pour 2,4 millions d’euros de chiffre d’affaires (février 2017-février 2022) et 469 335 de bénéfices (d’après les attestations comptables).
Mais ce trait d’esprit n’est pas légal pour la justice, la cour d’appel de Paris confirmant ce 21 février les condamnations du tribunal judiciaire du 25 janvier 2022 du négoce Laur pour contrefaçon et parasitisme, aux côtés du négoce bordelais CGM Vins qui a revendu une partie de ces vins (voir encadré). « La cour dit qu'en commercialisant un vin blanc moelleux IGP Côte de Gascogne de même cépage que le vin "Première grives", dans une bouteille de même format et de même couleur, à un prix deux fois inférieur, en le présentant comme un produit de substitution des vins de la société Tariquet, la société Laur a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire » indique le jugement, qui « condamne 730 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des actes de contrefaçon et la somme de 60 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire » et 60 000 € d’article 700 (in solidum avec CGM Vins).
De lourdes condamnations par rapport à la première instance, qui condamnait les Vignobles Laur à 108 700 € pour le préjudice matériel causé par la contrefaçon, 34 500 € sur la réparation du préjudice d'image, 60 000 € pour concurrence déloyale et parasitaire et 30 000 euros d’article 700. Une sévérité que la Cour d’appel explique notamment dans son délibéré par des preuves qu’en 2023 « les vins "Fautes de grives" contrefaisants étaient toujours proposés à la vente. Il y a lieu en conséquence de faire droit à la demande de rappel systématique des produits "Faute de grives" ainsi qu'à leur destruction » sous astreinte de 500 euros par jour de retard.


Dans son argumentaire, le négoce Laur a « fait valoir que la grande distribution lui demandant des vins blancs moelleux d'IGP Côtes de Gascogne et plus précisément du Tariquet », que le domaine ne lui fournissait plus depuis 2013, alors qu’il fallait « répondre à leurs désirs [de la GD] sous peine de les perdre », d’où l’idée « en forme de pirouette d'essayer de limiter la casse en mettant les rieurs de son côté ou plus précisément en signifiant au microcosme du Sud-Ouest viticole et aux milieux de la distribution l'estime que leur inspiraient les procédés de la société Tariquet » (de ne pas lui vendre de vins).
Se défendant de contrefaçon des Premières et Dernières grives, les Vignobles Laur estiment que l’étiquette Faute de grives « se présente comme un rébus dont les éléments verbaux donnent l'explication : la grive s'envole, le merle reste » ce qui a « pour but exclusif d'avertir le consommateur du changement radical imposé par l'attitude de Tariquet dans l'offre commerciale des Vignobles Laur ». Mais la cour relève que les étiquettes de Tariquet et de Laur ont « en commun le terme Grives particulièrement mis en avant sur les bouteilles incriminées en ce qu'il est écrit en majuscules et en plus gros caractères et qu'il est illustré par la représentation d'une grive de grande taille aux ailes déployées, dont la queue occupe un grand espace. […] Il s'ensuit que le tribunal a retenu à juste titre une forte similitude conceptuelle entre les signes en cause, fondée sur la recherche d'une association avec les marques opposées [et] les actes de contrefaçon des marques Premières grives et Dernières grives sont caractérisés. »


Pour justifier ses accusations de concurrence déloyale et parasitaires à l’encontre des Vignobles Laur, le domaine Tariquet a également apporté des preuves de « manœuvres pour que les vins soient présentés en magasin côte à côte, tout en entretenant la confusion par ces choix de bouteilles, d'étiquette et de contre-étiquette » souligne la cour d’appel, rapportant que « la société Tariquet justifie par la production d'une facture de 2020 à la société Vignobles Laur, que cette dernière ne conteste pas, qu'elle a acheté 2 100 bouteilles "Premières grives", sans fournir d'explication à cet achat alors qu'elle se plaint dans ses écritures d'avoir dû cesser de commercialiser les vins Tariquet, de sorte que cet achat de vins "Premières grives" à un intermédiaire ne trouve aucune autre justification que celle, avancée par la société Tariquet, de les revendre avec ses propres vins "Faute de grives je bois du merle", afin de créer la présence simultanée de ces deux vins sur les rayons ».
S’appuyant sur des photographies de linéaires et des tickets d’achat « dans plusieurs grandes surfaces », le délibéré estime « qu'une telle manipulation consistant à orchestrer la présence simultanée des vins en cause, alors que la société Tariquet vend peu ses vins dans la grande distribution, et aggravant manifestement le risque de confusion créé par l'emploi du signe contrefaisant, constitue un fait distinct fautif ».


Contactées, les société Tariquet et Laur ne souhaitent pas commenter une procédure qui n’est pas encore close devant la justice. Et se poursuit en magasin, comme le relève la cour d’appel : « en avril 2022, la société Laur s'était mise à commercialiser un vin dénommé "Faute de merles", conditionné dans la même bouteille, sous le même code-barres et la même étiquette, l'expression "faute de grives je bois du merle" ayant été remplacée par "faute de merles je ne bois que ça" ». Persistant et signant, les vignobles Laur restent dans le viseur de Tariquet, qui souhaite « initier un nouveau procès en concurrence déloyale et parasitaire » indique la cour d’appel.
En deuxième instance, CGM Vins est condamné à verser 77 000 € pour contrefaçon à Tariquet pour avoir présenté dans des documents commerciaux la marque "Faute de grives" comme un produit « anthologique assimilé Tariquet ». Arguant que « cette mention avait un but descriptif sans porter atteinte aux droits de la société Tariquet », le négociant bordelais défend dans son argumentaire « que les marques Tariquet "Premières" et "Dernières grives" sont devenues génériques et usuelles pour désigner une caractéristique du produit vendu ; que le mot Tariquet s'apparente à une AOP voire à une IGP ; qu'il désigne indifféremment un certain type de vins de l'IGP des Côtes de Gascogne ; que cette banalisation ressort des propos de professionnels indiquant "cousin du Tariquet" ou "équivalent à du Tariquet" ». Une vision qui s’appuie sur un sondage de juillet 2023 par l’IFOP où « 77% des personnes interrogées indiquent "ne sait pas" lorsqu'on leur demande si Tariquet est une mention collective (AOP, IGP, Cépage) ».
La juridiction n’a pas été convaincue par cette approche : « la société CGM, échoue à démontrer que la marque Tariquet serait devenue une appellation usuelle [et que] s'agissant du sondage produit par la société CGM Vins en septembre 2023, la cour constate qu'il est biaisé, la question étant précédée d'une information "il se produit chaque année environ 8 millions de bouteilles de Tariquet", dont le consommateur n'avait pas nécessairement connaissance et qui induit le choix des réponses proposées "Tariquet est selon vous", le consommateur étant peu enclin à choisir la réponse "un domaine familial", alors que le terme familial évoque une exploitation de petite taille qui peut sembler incompatible avec un important volume de bouteilles ». Pour la cour d’appel, la contrefaçon est caractérisée puisque « la référence à une marque pour attribuer à un produit qui n'en est pas revêtu, des qualités que le public prête à cette marque, porte atteinte aux fonctions de garantie de qualité, d'investissement et de publicité de la marque ».
Se voyant comme une victime collatérale de l’affrontement entre Tariquet et Laur, CGM Vins s’est de nouveau concentré sur le vin de Bordeaux depuis cette incursion dans les vins du Sud-Ouest. D’après les données du tribunal, CGM Vins a vendu 61 199 bouteilles de "Faute de grives" pour un chiffre d'affaires de 231 165 €, soit une marge commerciale de 42 000 €.