J’avais déjà constaté que l’assemblage de vins amyliques et de vins thiolés renforçaient les notes de fruits tropicaux dans les rosés, sans jamais rien écrire dessus », raconte Nathalie Pouzalgues, chef de projet au Centre du Rosé. En 2021, elle tombe sur une étude américaine qui aboutit à la même conclusion sur des vins blancs. « C’est ce qui m’a décidé à publier un article l’an dernier dans notre revue Rosé et Recherche », explique-t-elle. Et surtout à réaliser un essai rigoureux. Pour cela, elle désaromatise un vin témoin puis y ajoute des thiols variétaux (le 3-SH et son acétate) et des esters fermentaires (acétate d’isoamyle, acétate d’hexyle et de 2-phényléthyle, hexanoate, octanoate et décanoate d’éthyle) en différentes proportions de manière à reconstruire 15 vins modèles similaires à des vins commerciaux quant à leur composition en ces arômes.
Après analyse par le jury expert du Centre du Rosé, son intuition se confirme. « Les vins qui renferment essentiellement des esters ont un profil dominé par des notes de confiserie, de banane et d’anis. À l’opposé, quand les thiols dominent, les vins offrent des notes de buis et de pamplemousse », explique-t-elle. Jusqu’ici, rien de nouveau. « En revanche, les vins avec des esters et des thiols en proportions équilibrées sentent surtout les fruits tropicaux, comme l’ananas et le fruit de la passion », révèle Nathalie Pouzalgues.
Une observation que l’ICV avait également faite de son côté et qui a permis, cette année, au cellier d’Eguilles dans les Bouches-du-Rhône de rafler deux médailles au concours général agricole pour sa cuvée haut-de-gamme, Ophélie. « Cette cuvée a près de trente ans et a toujours eu un profil très thiolé, raconte Francis Tavernier, président fraîchement retraité du cellier d’Eguilles. On a souvent eu des médailles au concours des Vinalies mais jamais au Concours général agricole. Pour nous rapprocher des vins concurrents, l’ICV a acheté tous les vins médaillés du secteur et on a travaillé sur leurs arômes (cf. encadré) ».
Le conseil d’administration les a dégustés à l’aveugle et on s’est rendu compte que le profil d’Ophélie était en dehors des vins médaillés. Pour se rapprocher de ces vins, cette année on a réalisé un assemblage avec environ 60 % de la cuvée thiolée et 40 % d’une cuvée amylique. On est plus dans la gourmandise, les fruits rouges et tropicaux, moins dans le pamplemousse ». Une belle récompense après quatorze ans de présidence pour Francis Tavernier.
« Le rosé est redevenu un vin d’assemblage, explique Florent Touzet, œnologue conseil de l’ICV. Aujourd’hui, les cuvées très typées « pamplemousse » ne sont plus médaillées car on recherche de la complexité. Il faut donc trouver des équilibres, tout en sachant qu’ils se modifient dans le temps. Par exemple, les arômes amyliques tiennent peu dans la durée. Il faut en tenir compte quand on effectue l’assemblage et légèrement surdoser les cuvées amyliques pour retrouver un équilibre avec les thiols au fil du temps ».
Depuis cette année, le Centre œnologique de l’ICV de Brignoles offre à tous ses clients la possibilité de comparer leurs vins aux vins médaillés de leur appellation. « Tout d’abord, on achète tous les vins médaillés des domaines alentours et on les soumet à un panel de dégustateurs professionnels et amateurs, explique Florent Touzet, œnologue conseil à l’ICV. Puis on les analyse avec la méthode Kallosmé Profil de Nyseos qui permet de quantifier l’aromatique grâce à deux indices « agrume-passion » et « fruité fermentaire ». Le client peut ensuite tenter de s’approcher des vins médaillés par le jeu des assemblages, comme l’a fait le cellier d’Eguilles, ou en modifiant ses vinifications ».