es outils numériques permettent-ils aujourd’hui de diminuer, voire s'affranchir, d’une présence in situ sur le terrain pour aborder un marché à l’export ?
Magalie Dubois : Le numérique a apporté un indéniable complément dans la préparation des salons ou des tournées à l’export, mais de là à ne tout faire qu’en digital... Plus ces évènements sont préparés en amont, plus ils sont efficaces et productifs, avec l’objectif de maximiser la qualité et le retour sur investissement de chaque déplacement. Le bon export manager est celui qui passe beaucoup de temps en préparation et ne part pas la fleur au fusil. C’est dans cette préparation que le numérique a pris toute son importance, à l’image des interfaces digitales des salons, celle de Wine Paris & Vinexpo Paris par exemple, qui permettent d’interagir en amont et de cibler des prospects qui correspondent à l’offre que l’on peut proposer et aux pays que l’on vise. Sur un déplacement export, c’est la même chose, sinon c’est de l’argent mal investi.
Vous insistez donc sur une présence forte sur le terrain, à condition de l’avoir bien préparée…
En effet, la présence physique au plus près des marchés qu’on aborde est indispensable. Le face-à-face instaure une relation personnelle et installe une confiance avec l’importateur, les distributeurs et les clients finaux, qu’il ne faut pas hésiter à rencontrer. Rien ne remplace le rendez-vous avec le détaillant, car plus il y a d’intermédiaires dans la chaîne, plus la force de l’histoire que l’on a à transmettre se dilue. Le déplacement permet de renouer ce fil, créer un lien émotionnel et transmettre une histoire à raconter pour la personne qui parle directement de notre vin au client final. C’est lui qui détient la force de la recommandation d’un produit dont il connaît l’histoire, le producteur. Il faut pousser pour ne pas rester sur le seul filtre de l’intermédiaire qui importe.
Cependant, depuis les épisodes Covid, les voyages ont diminué, par coût, par conscience écologique, et les usages du numérique ont pu permettre de palier à ça, grâce à de nouvelles pratiques comme la dégustation en ligne. Mais force est de constater que ce seul usage du numérique pour alimenter les échanges n’a pas perduré pour beaucoup de domaines, et rien ne remplace le retour au voyage.
Vous parliez de coûts justement. Comment ajuster un tarif à l’export ?
Intégrer le budget de ces coûts de déplacement dans le tarif des vins est un prérequis incontournable, sous peine de mauvaise surprise par la suite. Il faut allouer un pourcentage du tarif proposé au budget de déplacement et marketing. Donc cette tarification doit être établie bien en amont. L’exemple typique est le travail en direct avec un distributeur dans un pays. On peut avoir tendance à lui proposer un prix très avantageux, mais si l’on trouve ensuite un importateur pour étendre sa présence dans le pays, il faut absolument avoir conservé une marge de manœuvre dans la tarification pour permettre à ce nouvel importateur d’appliquer sa marge.
Fixer un prix se fait aussi au regard du marché. Quand on pense aux Pays-Bas, on sait que l’on va sur un marché où la pression sur les prix est forte si on veut exister. Les déplacements servent aussi à ça : visiter un maximum de boutiques pour se faire une idée précise du marché, évaluer sa compétitivité. Sans oublier la force de sa marque bien sûr, plus une marque est connue, plus l’élasticité prix est faible, mais ceci est valable pour tous les secteurs d’activité, pas simplement le vin.
Très bien, mais comment évalue-t-on l’efficacité de ces déplacements en salons ou tournées ? Les commandes peuvent prendre du temps…
Je parlais de la préparation pour les export managers, mais c’est bien la ténacité qui doit être leur qualité principale. L’attente fait partie du jeu, il ne faut donc pas lâcher et être sûr de sa connaissance du marché et du choix des interlocuteurs. L’erreur typique du débutant à l’export est le choix d’un importateur avec une exclusivité pour le pays, mais il se rend compte a posteriori que celui-ci ne travaille pas bien en restauration par exemple alors que sa cible essentielle est la restauration. On manque souvent de temps pour mesurer l’impact des visites de terrain, mais là encore des outils numériques, comme Wine Services, se sont développés pour suivre où nos vins ou ceux de nos compétiteurs sont présents et à quel prix …. Comme pour la préparation amont, le numérique offre des compléments très intéressants pour le suivi opérationnel.
La mesure de nos actions est également dépendante de l’objectif fixé : veut-on être présent sur un maximum de marchés ou prioriser les marchés essentiels ? Selon notre offre, on va par exemple aller vers des marchés plus matures si on ne propose que des vins de terroir. Un produit plus simple sera plus tout-terrain.
Comment bien cibler les marchés à développer alors ?
Il ne faut jamais oublier que l’on est une entreprise, donc c’est la rentabilité du marché ciblé qui prévaut, peu importe sa taille. On peut faire des éco-emballages tant qu’on veut pour se distinguer, si on n’est pas rentable, la démarche n’est pas viable. Le pilier économique du développement durable est aussi essentiel que l’environnemental et le social. On peut rêver sur le marché nord-américain, le plus grand du monde, mais ce n’est pas un marché homogène, car il y autant de marchés qu’il y a d’états, voire de villes. New-York, ou Londres sont à ce titre des marchés très particuliers. De la même manière, il faut bien identifier ses avantages concurrentiels sur les marchés, les avantages de proposer une offre française par exemple. Le travail de construction sur les marchés est essentiel, notamment par la diversification de son offre. Celle-ci peut entraîner un risque d’éparpillement, alors que la concentration peut permettre des économies d’échelle. Enfin, la présence sur les marchés relève beaucoup de l’opportunisme, des rencontres impromptues, d’où la nécessité d’être présent et d’entretenir le réseau relationnel.