omme attendu, le Sénat refuse à 211 voix contre 44 la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (le CETA), qui est en vigueur depuis la fin 2017 (ayant été signé par l’Union Européenne et le Canada en 2016, puis validé par l’Assemblée Nationale en 2019). En séance au palais du Luxembourg, le ministre délégué au commerce extérieur, Franck Riester réagit à ce rejet en sermonnant les sénateurs : « en supprimant l’article 1, vous ne ratifiez pas lors de cette lecture au Sénat l’accord CETA et vous envoyez une nouvelle fois un très mauvais signal à nos agriculteurs, nos exportateurs et aux Canadiens. » Si les oppositions politiques se sont mobilisés contre le CETA, c’est pour son impact négatif sur la compétitivité de produits agricoles, notamment bovins*. Alors que ses défenseurs soulignaient le soutien apporté à l’exportation vins et spiritueux
Et maintenant ? « Le débat n’est pas clos. Le processus parlementaire n’est pas clos, mais c’est un mauvais coup aujourd’hui aux entreprises qui exportent davantage vers le Canada grâce à cet accord » indique en point presse Franck Riester à la sortie du Sénat. Car les options législatives sont nombreuses, comme le résume Politico : « le texte doit encore poursuivre son parcours législatif. Le gouvernement peut convoquer une commission mixte paritaire pour tenter d’accorder les deux Chambres du Parlement (l’Assemblée nationale a déjà validé l’accord en 2019). Ou l’inscrire en deuxième lecture chez les députés. Ou… jouer la montre » comme d’autres états membres n’ont pas validé le CETA. « L'Assemblée Nationale aura bien évidemment en son temps à se prononcer le moment venu. Vous voyez bien qu'avec le débat d'aujourd'hui il y a besoin d'amener des éléments factuels pour apporter tout la lumière sur les effets concrets, réels, de cet accord sur l'économie » poursuit Franck Riester, pensant aux « éleveurs bovins qui ont peur de cet accord ».
Mais l’annonce par le député André Chassaigne (Puy-de-Dôme, Parti Communiste Français) de l’inscription de ce sujet lors de la niche parlementaire du 30 mai prochain pourrait rebattre les cartes. Mais « même en cas de rejet définitif du Parlement, la France pourrait choisir de ne pas bloquer l’accord au niveau européen, en ne notifiant pas la décision nationale à la Commission européenne (à l’instar de Chypre) » analyse Politico.


Alors que la filière vin cherche désespérément de nouveaux relais à l’export, cette incertitude n’est pas particulièrement bien accueillie dans les milieux exportateurs. Ce que les sénateurs avaient bien en tête avant leurs votes. « Élu d'une région viticole, je sais que cet accord est essentiel pour la viticulture. Les chiffres du Trésor parlent d'eux-mêmes : depuis 2017, les exportations de vins et de spiritueux ont augmenté de 24 % » rapporte Jean-Pierre Grand (Hérault, les Indépendants Républiques et Territoires) en commission des affaires étrangères ce 13 mars, pointant que « la viticulture française est au bord du drame - je n'exagère pas ! Les vignerons sont acculés. Il est question aujourd'hui du Ceta, mais les importations de vins espagnols ne sont soumises à aucun contrôle. C'est inacceptable. Des sommes colossales sont en jeu. Il y va de la survie de notre viticulture. Je voterai ce texte important pour la viticulture et voterai contre tout amendement. Il faut se pencher sur toutes les distorsions de concurrence qui pénalisent notre économie. La viticulture traverse une crise historique et le secteur peut s'enflammer : ne frottons pas l'allumette ! »
« Élu de Bourgogne, région qui produit les meilleurs vins du monde, je sais qu'une augmentation de 24 % des exportations vers le Canada ne changera pas fondamentalement la donne pour le secteur. Le problème est ailleurs » estime pour sa part le sénateur Alain Houpert (les Républicains). « Certains secteurs ont vu leur excédent commercial progresser. C'est par exemple le cas des boissons, en particulier les vins et spiritueux, soumis avant 2017 à un taux moyen de droits de douane de 10 % contre un taux nul aujourd'hui ; l'excédent du secteur est ainsi passé de 475 à 591 millions d'euros » note la sénatrice Catherine Dumas (Les Républicains, Île de France), qui souligne que « tout vient à point à qui sait attendre ! Cela faisait près de cinq ans que le Sénat attendait l'inscription à son ordre du jour du CETA. Las de ne rien voir venir, nos collègues du groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky ont forcé la main du Gouvernement et notre attente est désormais satisfaite. Cela dit, nous ne saurions nous réjouir de cette situation, car il nous est demandé, ni plus ni moins, de nous prononcer sur un projet de loi dont l'essentiel du contenu est mis en œuvre depuis près de sept ans ! »
* : La Coordination rurale appelait aujourd’hui « les sénateurs à refuser le sacrifice de notre modèle agricole au profit de quelques grands groupes industriels » et « refuse d’envisager le CETA comme le "moins pire des accords de libre-échange" tel qu’il est souvent décrit ».