près la lettre d’un deuxième corbeau alertant sur une situation économique difficile à Cognac, quelle est votre vision de la situation dans le vignoble charentais ?
Florent Morillon : Ce n’est pas la cata à Cognac. Il est normal dans le contexte anxiogène actuel que des gens s’inquiètent. Mais soyons factuels. Nous avons 4 200 viticulteurs à Cognac, je ne voudrais pas que l’on croie qu’ils sont majoritairement en difficulté. Il y en a peut-être 1 ou 2 % qui ont investi au-delà du modèle viable économiquement sur le moyen et long terme. J’entends parler de certains qui auraient calculé leurs revenus sur des rendements de 12 hl AP/ha, ce qui est totalement déraisonnable comme modèle. Ces domaines ne vont pas être laissés sur le côté, il faut qu’ils se signalent pour étudier des solutions avec les banques, les syndicats et l’interprofession. J’entends une sonnette d’alarme : venez nous voir pour en sortir.
Mais je ne peux pas laisser discréditer toute une organisation avec tout ce qui a été fait pendant quatre années compliquées. Je prends mes responsabilités comme ancien chef de famille du négoce du BNIC et actuel président. Nous assumons pleinement les décisions du Business Plan sur les rendements, les plantations nouvelles… Il n’y a pas eu d’erreurs. Nous sommes dans un processus décisionnel collectif et démocratique. Aucune décision n’est prise par une personne. Ces dernières années, toutes les décisions ont été prises à l’unanimité. Les viticulteurs et négociants sont représentés par des personnes élues de leurs familles. Il y aura toujours mécontents, mais nous sommes dans un processus démocratique.
Il y a plus de craintes de difficultés dans le vignoble de Cognac que de réelles impasses économiques ?
Je suis convaincu que 98 % des viticulteurs ont investi et géré normalement leurs exploitations. Que ponctuellement certains se soient surendettés, c’est possible, mais ce n’est pas la généralité. Derrière ces courriers, on sent un appel au secours. Autant je n’apprécie pas les propos diffamants et insultants, autant j’entends et je comprends la détresse. Nous ne sommes pas dans le déni, l’an dernier les exportations ont baissé de 22 %. Mais si l’on regarde les années précédentes, la croissance n’était pas normale. Il y a d’abord eu la période covid et du surstockage, puis quand on est revenus dans la vraie vie, il a fallu déstocker (aux États-Unis surtout) et faire face à une baisse de consommation générale (cognacs, tequilas, grands vins, champagnes…).
Lors du confinement du mois de mars 2020, je me souviens qu’il y avait les mêmes peurs et les mêmes craintes. La filière est restée soudée, avec le respect des engagements et des contrats pendant les deux années de covid. Puis nous avons eu deux années compliquées à l’international, ce qui nous touche particulièrement comme nous vendons à 98 % à l’export. Nous sommes soumis aux aléas économiques, comme en Chine où le nouvel an asiatique n’a pas été à la hauteur des attentes (les consommateurs chinois épargnant et étant moins dans la fête). Il faut faire avec les aléas, comme l’enquête antidumping ouverte par la Chine ce 5 janvier, qui peut avoir des conséquences. Aujourd’hui, le travail est fait par toutes les maisons pour reconquérir les marchés. Ça va se traduire dans les sorties, on voit déjà ce début année un assainissement. Nous avons touché le fond de la piscine. Tout en étant prudent, Cognac reste confiant.
Le modèle charentais montre donc sa résilience ?
Je défie quiconque de me dire qu’il y a des viticulteurs mis sur le bord de la route dans la région. 90 % des volumes de la région sont contractualisés. Depuis 2011, les prix d’achat contractualisés des eaux de vie nouvelles et rassises ont augmenté de 55 à 60 %. Soit +5 % linéaire chaque année. Il le fallait pour investir dans le vignoble, pour l’environnement, pour l’augmentation des coûts de production. Le millésime 2023, avec un rendement commercialisable de 10,5 hl AP/ha, le chiffre d’affaires est de 15 000 €/ha en moyenne. Selon le modèle de production et d’investissement, le coût de production est de 10 000 €/ha, il reste donc 5 000 € de marge à l’hectare. Faites le calcul avec une surface moyenne de 20 hectares à Cognac. Il faut faire attention aujourd’hui, quand je vois les collègues de régions viticoles, y compris voisines, qui sont en difficulté. Cognac est l’un des vignobles qui s’en sort encore le mieux en France, faisons preuve humilité.
Il reste des craintes pour l’avenir, mais je reste confiant sur les Etats-Unis, où il y a des signaux positifs. Le marché du duty free a repris, pas au niveau d’avant Covid certes.
Comment réagissez-vous à l’inquiétude sur l’entrée en production des 17 900 hectares de nouvelles plantations depuis 2016* ?
Je ne peux pas laisser dire n’importe quoi. Quand une vigne est plantée aujourd’hui, les premiers VS seront mis en marché dans 7 ans. Si l’on revient 6 ans en arrière, les nouvelles plantations étaient en centaines d’hectares. Cela ne fait pas la différence, que l’on soit à 82 ou 83 000 Ha. Ce n’est pas à cause des plantations nouvelles que l’on peut expliquer la situation actuelle. Quand je vois ce qui se passe dans d’autres régions, il faut garder la tête sur les épaules. Soyons transparents, disons la vérité et restons factuels.
* : Avec 250 ha en 2016, 800 ha en 2017, 1 500 ha en 2018, 3 374 ha en 2019, 3 398 ha en 2020, 2 306 ha en 2021, 3 129 ha en 2022 et 3 129 ha en 2023. En 2024, le contingent de plantations nouvelles est fixé à 100 ha.