l semble que ce soit un sport local, bien typique du vignoble de Cognac. D’autres vignobles ont leurs confréries viniques ou leurs fêtes bacchiques, le vignoble charentais a ses lettres anonymes. Après celle jugeant en mai 2020 trop favorable au négoce Hennessy (groupe LVMH) la présidence de l’Union Générale des Viticulteurs pour l’AOC Cognac (UGVC), celle estimant en juin 2023 qu’il y avait un appel à la délation entre vignerons sur la gestion du désherbage et celle rejetant en novembre 2023 les décisions d’accroissement du vignoble du Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC) s’élevant à 17 700 hectares depuis 2016* (selon les calculs du Business Plan), voici venue celle du « à mon tour j’accuse ».
Faisant une sorte de synthèse dans les précédents courriers anonymes, cette missive « accuse » notamment « l’UGVC de n’être qu’au service de la maison [Hennessy] par le biais du Business Plan(te). En aucun cas ce syndicat ne défend la viticulture ni le revenu à l’hectare. Il défend les envies du grand négoce de nous faire planter plus pour acheter moins cher. » Et d’asséner : « si tout cela n’est pas organisé, alors ce petit monde est tout ce qu’il y a de plus stupide. Sinon bravo, bien joué. Seulement votre stupidité va entraîner tout le monde. J’ai investi et je me suis endetté pour répondre aux normes comme on me l’avait demandé, j’ai planté parce qu’on m’a dit que ça ne pourrait pas descendre, hein Florent ! Alors oui, il y aura probablement des suicides et le mien pourquoi pas. Oui, il y aura des divorces et le mien sûrement. Oui, il y aura des dépôts de bilan, le mien est déjà acté pour l’année prochaine. Seulement je ne partirai par seul. Mon stock viendra avec moi. Boum ! Souvenez-vous de Martell en 72. »
Circulant depuis ce début mars dans le vignoble charentais, comme révélé par Spiritueux Magazine, ce courrier témoigne de la fébrilité d’opérateurs charentais craignant avoir surinvesti avant de surproduire, et se trouvant dans la détresse d’encours bancaires trop importants alors que leurs revenus chutent après des années fastes (le record de 2022 semble loin alors que 2023 a vu les États-Unis faiblir et la Chine ne pas repartir). « Nous avons en effet reçu une lettre anonyme qui remet en question certains choix stratégiques de l’interprofession pris dans la période pré-Covid où tous les voyants étaient au vert » répond à Vitisphere le BNIC, relevant que « l’auteur s’en prend nommément à certains de nos dirigeants » (Florent Morillon le nouveau président et Christophe Veral le vice-président). « La période d’incertitude que nous traversons peut mettre certains d’entre nous en difficulté, génère des inquiétudes, nous en avons conscience. Mais cela ne justifie pas les lettres anonymes et les menaces » poursuit l’interprofession, pour qui « aujourd’hui nous sortons d’une pandémie inédite, ses contrecoups sont encore à l’œuvre et tous les spiritueux en ont subi les effets » (notamment sur le


« Puisque l’auteur de cette nouvelle lettre insiste sur le fait que ce que la filière aurait "trop planté" nous tenons à préciser que ce qui a été décidé et planifié l’a été de façon rigoureuse sur la base d’un modèle de prévisions objectivé année après année et que nous revendiquons totalement » poursuit le BNIC, ajoutant que « cette première phase a généré de la valeur. Et cette valeur a été partagée. Et on le voit aujourd’hui autour de nous dans toute notre région. Le revenu viticole, dans le Cognac, a augmenté de 8 % par an sur 20 ans, hors inflation. » Instables depuis la crise covid, les équilibres commerciaux sont illisibles pour l’interprofession : « aujourd’hui, personne ne peut dire si nous sommes au-delà ou en deçà des besoins car personne ne sait ni quand ni comment l’économie mondiale va repartir. C’est pourquoi nous restons très humbles au regard du cycle économique mondial actuel. »
* : Avec 35 ha en 2016, 800 ha en 2017, 1 500 ha en 2018, 3 374 ha en 2019, 3 398 ha en 2020, 2 306 ha en 2021, 3 129 ha en 2022 et 3 129 ha en 2023. En 2024, le contingent de plantations nouvelles est fixé à 100 ha.