emontés, les slogans de la quarantaine de vignerons manifestant ce vendredi 15 mars devant la maison Raymond au Bois Majou (Aillas, Gironde) donnaient le ton de leur colère face à la foire aux vins de Lidl proposant une offre promotionnelle à 1,89 € la bouteille de Bordeaux rouge* : « stop aux prix qui nous tuent », « à 1,89 € du Bordeaux, c’est nous qui trinquons », « on veut juste nourrir, pas mourir », « agriculteur : enfant on en rêve, adulte on en crève » (voir photos ci-dessous). Après le blocage du centre logistique de Cestas la semaine passée, les membres du Collectif Viti 33 maintiennent la pression en ciblant l’un des fournisseurs de ces vins à bas prix. Venu à la rencontre des manifestants, le PDG du négoce a joué la carte de la transparence pour apaiser les esprits, mais, en bataille comme ses cheveux, le vigneron-négociant ne souhaite être ni cité, ni photographié, comme il l’a indiqué non sans virulence à Vitisphere.
Plus ouverts à la communication avec la presse, les manifestants rapportent de leur côté que les échanges ont pu être constructifs et apaisés avec le gérant de la maison Raymond. « C’est le premier [des négociants visités] qui le courage de venir nous rencontrer. Nous avons eu un échange respectueux et constructif. Il nous a expliqué que la déflation l’oblige de s’adapter aux prix des autres négoces pour pouvoir faire tourner sa boutique. Il est obligé de se mettre au diapason, mais en tant que viticulteur il connaît nos problèmes » rapporte Didier Cousiney, le porte-parole du collectif Viti 33. Un argument qui n’est pas sans rappeler celui de Lidl : la pression du marché et de la concurrence qui pousse se tire la bourre et à rogner au centime près. « C’est tout le temps de la faute des autres » reconnaît le maire du Pian-sud-Garonne de 65 ans, ajoutant que « certains n’ont pas de quoi payer leurs produits de traitement. On se retrouve à vendre à 700 euros le tonneau sous la pression des factures, du fiscal, des cotisations sociales, des banques, des salaires, des intrants… Nous n’avons pas besoin d’aides de l’État ou de l’Europe, mais de vivre de notre travail comme tous les Français. Il faut un juste partage des marges. »


« Nous sommes tous dans la crainte. Nous tous obligés de vendre à bas prix. Nous avons tous signé un contrat à prix indécent avec un négociant. Aujourd’hui, c’est Raymond, mais pas de jaloux, demain ce sera un autre » poursuit Bastien Mercier, membre du collectif Viti 33. Alors que la cellule de crise viticole doit se réunir ce lundi 18 mars à la préfecture de Gironde, le collectif pourra porter ses propositions de segmentation (AOC Cru Bordeaux et IGP Bordeaux Atlantique par exemple), d’Organisation de Producteur (OP)… Sans oublier la mise en place du prix plancher attendu dans la nouvelle egalim. De multiples sujets pour une future table-ronde réunissant tous les opérateurs du vin de Bordeaux, de l’amont à l’aval. « Il faut que l’État organise le rendez-vous pour que cela soit neutre. Nous voulons que ce soit gagnant-gagnant » ajoute le maire de Camiran de 35 ans, qui attend désormais la date de cette réunion entre toutes les parties prenantes : viticulture, négoces, courtiers, distributeurs… et parlementaires, car « ce sont eux qui feront la nouvelle loi Egalim. S’il faut la faire filière par filière, que ce soit fait comme ça. L’élevage et la vigne n’ont pas les mêmes structures de production et commercialisation. » Mais dans tous les cas, « nos métiers ne font plus rêver avec leurs contraintes environnementales, administratives… On n’en peut plus. »
Rebondissant sur le coût des contrôles pulvé et du renouvellement du Certyphyto, le vigneron Henri Joanchicoy (55 hectares à Sainte-Foy-la-Longue) souligne que « quand tu gagnes bien ta vie, il n’y a pas de souci. Mais quand ce n’est plus le cas… Sur la propriété, nous avons optimisé les coûts à 4 000 €/ha : il nous faut 200 000 € de revenus pour tenir. Nous sommes à 150 000 €… Il n’y a pas besoin d’avoir fait de grandes études pour comprendre que ça ne va. » Prévoyant de réduire la voilure avec son fils récemment installé (ils ont un projet agrivoltaïque sur luzerne), le vigneron de 62 ans reçoit pour la première fois des factures qu’il ne peut régler immédiatement : ayant vendu des Bordeaux à 700 € le tonneau et du Bordeaux Supérieur à 900 € le tonneau, il ne comprend pas ses cours au ras du plancher. « Je suis sûr que Lidl pourrait vendre à 2,5 € ces vins sans perdre beaucoup de volume, mais tout le monde en vivrait. S’il n’y a pas de mesures fortes, sans prix rémunérateur, les vins de Bordeaux sont pliés » prévient-il.


Une vision que n’est pas loin de partager un jeune viticulteur, installé en 2018 en cave coopérative, qui ne s’en sort que grâce au fermage gratuit de son père et au salaire de son épouse. Pour sortir de la panade, il n’y a que la force du collectif qui vaille pour lui : « il faut tous se mettre ensemble pour établir un prix de base. Aujourd’hui, on travaille la vigne pour perdre de l’argent. Il faut des solutions très très vite. La vigne va bientôt commencer à pousser et nous n’aurons plus le temps pour manifester. » Alors que les vignerons bordelais sont peu sanguins, notamment vis-à-vis de leurs collègues du Midi, la pression semble désormais telle que les actions deviennent récurrentes, quoiqu’avec un noyau réduit de participants.
« Nous verrons quelle sera la prochaine action. Nous pourrions aller chez un distributeur, un négociant… Ou l’interprofession (CIVB) ou l’ODG (Organisme de Défense et de Gestion des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur) » esquisse Didier Cousiney. « Il faut trouver une solution pour sortir de l’impasse » poursuit Christophe Duharte, trésorerie adjoint du collectif, concluant : « on doit arriver à un accord. Si au lieu de nous acheter le tonneau à 700 ce serait 1 200 euros, tout le monde s’y retrouverait. Le gérant de Raymond nous dit qu’avec ses vins vendus 1,89 € il se dégage une marge pour faire tourner son affaire. Ce n’est pas le cas de nous autres… Il faudrait les mêmes règles du jeu. »
* : Si les manifestants épinglent également le vin de Bordeaux à 1,89 € proposé par E.Leclerc, ils s’étranglent d’entendre que Lidl menacerait de suspendre les négociations sur les vins de Bordeaux et même d’en acheter à l’avenir… Contacté, le service de presse de Lidl n’a pas donné suite au moment de la publication.
Arrivés à 6 heures du matin...
... les manifestants ont installé leurs engins, pendus, panneaux et affiches devant le négoce.
Si Lidl est visé...
...Leclerc l'est également.
Dans l'agglomération bordelaise se trouvent toujours lesdites bouteilles en magasin.