e n’est pas insulter le vignoble bordelais que de constater que l’anticipation n’est pas l’une de ses principales qualités… En arrivant parfois à planter une parcelle de vignes en plein été, les vignerons girondins n’ont pas forcément pris leurs précautions pour s’assurer qu’un prestataire pourra s’occuper des vignes pouvant bénéficier de la prime à l’arrachage dans le temps imparti (travaux réalisés avant le 31 mai 2024). Alors que la préfecture de la Gironde a traité ce premier mars 75 % des 1 209 dossiers déposés pour l’arrachage primé (représentant 8 000 hectares), il faut dire que les autorisations à commencer les travaux avant la fin d’instruction n’étaient pas forcément incitatives (si la mesure de renaturation est intégralement financé, celle de diversification pourrait aboutir à un coefficient stabilisateur estimé à 75 %).
Primé ou non, l’arrachage se concrétiser aujourd’hui dans le vignoble bordelais, comme en témoignent les prestataires de travaux agricoles faisant face à une demande monstre. « Je suis saturé » rapporte Thierry Thibal, basé à Porte de Benauge et « débordé de demandes » sur sa zone de l’Entre-deux-Mers (Créon, Espiet, Targon,…) : « je ne peux pas faire plus et je n’accepte plus de demandes ». Avec 320 hectares à arracher cette saison, le prestataire rapporte en avoir déjà réalisé 160, pour des prix allant de 1 000 €/ha pour un écartement de 3,6 mètres à 3 200 € pour 1,5 m. Mais ce déluge d’activité n’est pas pour plaire à Thierry Thibal. Ces arrachages ressemblant à un chant du cygne. « Sur 10 km autour de moi, j’ai une centaine d’hectares à arracher. Je suis très inquiet pour l’avenir. J’essaie de partir dans la location de matériel et les travaux routiers, sinon il n’y aura plus rien autour de moi dans quelques années » confie-t-il.


Tous les prestataires de Gironde ne sont pas débordés pour autant. « Ce n’est pas la grande foule au pied de la porte » commente Eric Banos, prestataire de travaux agricoles à Illats, qui fait état « pour l’instant de demandes très faibles. Je fais des arrachages pour du renouvellement, pas dans le cadre des subventions. » Président pour la Gironde des Entrepreneurs de Territoire (95 entreprises adhérentes), Benjamin Banton confirme que parmi ses 40 membres prestataires en viticulture (sur les 480 recensées par la préfecture de Gironde), « il y a des demandes, mais nous ne sommes pas débordés. Il y a de l’attente pour en savoir plus sur les aides, l’enjeu de la pluie empêchant de rentrer dans les parcelles… Et ceux qui arrachent n’ont souvent pas de sous. » Pour lever les réticences des prestataires, une garantie de paiement a été négociée avec les banques, par l’intermédiaire de préfecture de Giornde et la filière bordelaise (l’interprofession finançant la diversification, quand l’État prend en charge la renaturation). « La garantie de paiement consiste en un mandat donné à la banque par le viticulteur pour effectuer le virement du montant de la facture d’arrachage à l’entreprise de travaux » indique un communiqué de la préfecture.
Face aux difficultés économiques, de nombreux viticulteurs ont recours au système D : achat/location de pelles en tête. « Tout est fait pour économiser » constate Bruno Vimeney, prestataire à Donzac, mais ne répondant aux demandes d’arrachage primé. Se concentrant sur une cinquantaine d’hectares à arracher pour la restructuration, l’entrepreneur constate qu’« il se pratique tous les prix. On entend parler de 1 000 €/ha pour certaines densités. Il faut voir comment s’est fait. » Qu’il s’agisse de laisser en jachère 20 ans ou d’implanter une nouvelle culture agricole, la prime à l’arrachage sanitaire est conditionnée à un cahier des charges précis : plus de racines en terre, sol labouré… Mais pas d’obligation pour la gestion des ceps arrachés (voir encadré sur le brûlage).
« L'arrachage obéit à un cahier des charges précis, qui sera contrôlé par les Organisations de Défense et de gestion (ODG) après déclaration d'arrachage par les propriétaires ou exploitants concernés, avant paiement » indique à Vitisphere la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM), qui précise que « nous n'avons pas d'éléments de réponse concernant le rythme et les modalités d'arrachage, qui dépendent de décisions individuelles, si ce n'est qu'ils doivent être terminés au 31 mai ».
Vigneron bio prévoyant d’arracher 8 hectares cet hiver (sur 44 ha à Rauzan), Christophe Québec ne compte pas attendre cette date butoir : « mon prestataire ne peut pas venir de suite avec la météo. Je veux faire en sorte que l’arrachage ait lieu avant le 15-20 avril et la pousse qui pourrait générer des maladies » faute de traitements. De quoi ajouter au stress ambiant : « il y a toujours beaucoup d’incertitudes. Ce qui engendre de l’angoisse. On ne sait pas comment faire dans les mois qui viennent. On sent une forte accélération du processus de crise viticole à Bordeaux » rapporte le vigneron.


« Je sais que c’est dur dans le vignoble » confirme Bruno Vimeney, également viticulteur avec ses frères : leurs 28 ha de vignes seront intégralement arrachés cette année, sans demande de prime. « On sera les derniers servis. C’est toujours le cordonnier qui est le plus mal chaussé » sourit-il, pointant qu’« avec la météo actuelle on fait de la boue, c’est du mauvais travail ». Ce que confirme la DDTM : « a priori les pluies n'aident pas et peut-être que beaucoup de ceux qui arrachent pour une diversification retardent les travaux pour ne pas abîmer les sols détrempés ».
« Le dispositif d'aide à l'arrachage sanitaire de la vigne en Gironde va concerner environ 8 000 ha. Les travaux d'arrachage devront être réalisés avant le 31 mai 2024 et auront pour conséquence la nécessité d'éliminer un volume important de ceps de vigne » indique la DDTM, préconisant « dans la mesure du possible une évacuation ou une valorisation des ceps de vigne », tout en reconnaissant que « certains viticulteurs pratiqueront des opérations de brûlage ». S’inscrivant dans le cadre réglementaire du brûlage de rémanents issus de travaux agricoles, « le brûlage des ceps de vigne est autorisé, sous réserve de précautions dans les pratiques, sauf lors des épisodes de pollution atmosphérique conduisant le préfet à prendre des arrêtés d'interdiction temporaire des brûlages agricoles » indique la DDTM.
Pour éviter nuisances et dangers, l’administration précise que « les opérations de brûlage sont toutes suspendues dès que le vent atteint ou excède 5 mètres/seconde (soit 18 km/heure) », qu’« une surveillance humaine constante sur place est obligatoire avec, à disposition immédiate, les moyens d'extinction nécessaires et proportionnés », que « les opérations de brûlage ne doivent en aucun cas gêner la circulation routière et en particulier la visibilité des usagers de la route, ni causer de nuisance au voisinage (irritations,...) » et que « la combustion ne devra pas produire de fumées opaques : incinération de ceps suffisamment secs ».
La DDTM ajoute qu’« au titre du règlement interdépartemental de protection de la forêt contre l'incendie, les brûlages situés dans les "espaces exposés" (bois et forêts et zones situées à moins de 200 m des bois et forêts) des communes à dominante forestière répertoriées par arrêté préfectoral :
- sont interdits pendant les périodes de vigilance orange, rouge ou noire,
- sont soumis à autorisation du maire entre le 1er mars et le 30 septembre,
- sont soumis à déclaration en mairie entre le 1er octobre et le dernier jour de février. »