l se décrit comme « un auteur éclectique écrivant des romans historiques, de la science-fiction et de la poésie ». Mais ses romans, ce sont ses vins. À la tête du domaine de Cousignac, 60 ha en bio à Bourg-Saint-Andéol, en Ardèche, Raphaël Pommier est vigneron. Ce qui revient, selon lui, à créer « de l’émotion en bouteille ». Ses trois « cuvées folles » sont là pour ça.
La première, baptisée Vinolithic, est née un jour de canicule, il y a dix ans. « Je visitais la grotte préhistorique de Saint-Marcel-d’Ardèche, où il faisait frais : j’ai pensé qu’elle serait idéale pour élever un vin », résume le vigneron. Il mettra deux ans à obtenir l’autorisation d’y entreposer quelques barriques. Et sera bluffé par le résultat. À 80 m sous terre, avec une température constante à 13 °C, une hygrométrie de 86 %, « les vins perdent en acidité mais gardent leur fraîcheur et gagnent en bouquet », affirme-t-il.
Depuis, il produit 2 000 cols/an de Vinolithic, un Côtes du Rhône Villages Saint-Andéol, qu’il vend 40 €. « Cela marche parce qu’en posant cette bouteille sur la table, on a une histoire à raconter… mais surtout parce que le vin est bon », commente le vigneron. Mais pas question de produire davantage de Vinolithic. « Cette cuvée doit garder sa singularité. Et j’en ai d’autres à faire découvrir ! » Par exemple, la « cuvée martienne », une autre fantaisie lancée en 2019.
Cette fois, les vins vieillissent deux ans en bouteille à 1 130 m d’altitude, dans le petit village de Mars, en Ardèche. Entreposées dans un endroit non isolé, elles subissent des températures qui varient de -12 à +30 °C. Pour cette raison, Raphaël Pommier qualifie ce vin de « spationaute aguerri : un 100 % grenache récolté à la main sur des vignes de 65 ans, vinifié bien mûr avec sa rafle, ni filtré, ni levuré, ni sulfité ». Pourquoi deux ans de vieillissement ? « Pour qu’il ait le temps de s’assouplir, et aussi parce que c’est la durée d’une année martienne, s’amuse le vigneron. Je tiens à raconter une histoire cohérente. » Dénommé Red Landing, ce Côtes du Rhône, produit à raison de 1000 à 1500 cols par an, plaît et se vend 60 €.
Entre les deux est née la cuvée Accord Tonique, élaborée avec les musiciens du Quatuor Debussy. « En tant que vigneron, je cherche l’harmonie en composant avec mes sols et mes cépages, partage Raphaël Pommier, qui a jadis joué du violon. J’ai proposé au Quatuor de composer une cuvée avec moi. J’ai traduit leurs instruments en cépages : grenache pour le violoncelle, syrah pour l’alto, cinsault et carignan pour les violons. Si un “guest” rejoint le projet, j’intègre un cinquième cépage. »
L’assemblage varie chaque année selon le morceau choisi par le Quatuor, le plus souvent une partition du répertoire classique. « Pour les guider, je leur donne le tempo du millésime – puissant, chaud, léger…, explique le vigneron. Puis je diffuse leur musique pendant la fermentation grâce à des haut-parleurs placés dans la cuve. » Sur l’étiquette, un QR code permet d’écouter en ligne sur Spotify « la musique qui a bercé le vin ». Raphaël Pommier produit 4 000 cols par an de ce Côtes du Rhône Villages Saint-Andéol, qu’il vend 20 à 26 €/col selon la « composition » du millésime.
« Ces trois cuvées attirent les amateurs de vin, les curieux, les rêveurs et les musiciens, observe Raphaël Pommier, dont le portefeuille de clients fidèles est composé de cavistes, de restaurateurs et de particuliers, en France comme à l’export. Leur prix reflète la difficulté du métier et leur valeur, car on y met nos tripes ! » Bien qu’elles coûtent cher pour des côtes-du-rhône, il les vend bien.
Pour les mettre en scène de façon originale, il fait appel à un photographe professionnel. « Si on produit des choses qualitatives, on doit les mettre en valeur, estime-t-il. Comme on ne peut pas toujours y arriver seul, autant s’entourer de professionnels. Je prépare la venue du photographe en réfléchissant au résultat que je souhaite. J’en discute avec lui, mais c’est bien moi qui fais ma com’ ! » Budget : 300 à 3 000 €, selon que le photographe est venu prendre quelques clichés seulement ou qu’il a passé jusqu’à deux jours pour réaliser plusieurs mises en scène.
Quant aux cuvées classiques, elles sont vendues 8 à 12 €/col et représentent le gros de sa production. Ses clients n’ont pas tous un budget important et tous les vins ne valent pas 20 € le col. « L’objectif des cuvées expérimentales n’est pas de faire de gros volumes, explique-t-il. Ce sont des pépites. S’il y en avait trop, on n’aurait pas le temps de les expliquer. » Ce qu’il fait avec plaisir à l’occasion de dégustations évènementielles. Des ateliers de « spéléoenologie », qui ont lieu dans la grotte de Saint-Marcel, sont ainsi consacrés à Vinolithic. Accord Tonique, lui se voit gratifié de concerts du Quatuor Debussy suivis d’une dégustation. En ce qui concerne Red Landing, toutefois, il n’organise pas encore de voyage sur Mars.
Élevée dans la grotte de Saint-Marcel-d’Ardèche, la cuvée Vinolithic a séduit d’autres vignerons au point qu’ils ont voulu faire de même. Réunis au sein de l’association Vino Habilis, ces dix producteurs sortent de la grotte 10 000 bouteilles par an, que l’on peut déguster sous terre, dans le noir. Ils planchent à présent sur une BD, avec l’aide d’un dessinateur et d’un scénariste. « Elle met en scène nos ancêtres imaginaires à l’ère préhistorique : l’idée est de faire rire en se basant sur la réalité, dévoile Raphaël Pommier. À plusieurs, à partir d’une cuvée, nous avons créé un univers, une mythologie et un outil de communication ! »