ils d’un représentant en vins, Jacques Puisais naît le 8 juin 1927 à Poitiers. Jeune homme, il étudie la chimie analytique puis l’Å“nologie. En 1959, il devient directeur du laboratoire d’analyses d’Indre-et-Loire où il travaillera jusqu’à sa retraite en 1993. Son rôle : accompagner les viticulteurs et les agriculteurs, mais aussi traquer les fraudes, les non-conformités. Et des vins mouillés ou frauduleusement aromatisés, il en a vu ! Mais bien vite, ce scientifique comprend que si les analyses sont indispensables pour doser le taux d’alcool d’un vin ou le taux de matière grasse d’un lait, elles sont insuffisantes pour apprécier la qualité gustative d’un produit.
« Avant 1900, la chaîne alimentaire était suivie sensoriellement, les courtiers jurés-experts piqueurs de Paris, qui jugeaient de la qualité et des défauts des vins, sont d’ailleurs les vestiges de ce passé, aimait-il à rappeler. La nature nous a dotés de cinq sens. Ce serait bête de ne pas les utiliser. » S’étant rendu compte que les Français, et notamment les jeunes, avaient du mal à s’exprimer sur ce qu’ils mangeaient et buvaient, il craignait qu’ils ne deviennent « des avaleurs », l’alimentation devenant un acte purement mécanique.
Aussi, dans les années 1970, met-il au point une méthode d’enseignement des mécanismes du goût et d’éveil sensoriel et cofonde en 1976 l’Institut français du goût à Tours. En 1974, il initie « les classes du goût » dans les écoles pour réapprendre aux enfants à reconnaître les quatre saveurs de base (sucré, salé, amer, acide) et les odeurs, à poser des mots sur ce qu’ils perçoivent et à découvrir leurs propres goûts. 100 000 enfants suivront ses classes de 1984 à 2000.
L’enjeu de cet apprentissage ? « L’homme doit se rendre compte que personne ne peut goûter à sa place, expliquait-il. Se réapproprier ses sensations est essentiel. Si plus personne ne sait goûter, n’importe quel expert viendra goûter à votre place, vous dicter ce que vous ressentez. Que ce soit au nom de normes sanitaires ou hygiéniques ou dans un but de profit, il exploitera votre ignorance. Réapprendre à goûter, c’est se faire sa propre opinion. » Une démarche érigée en philosophie de vie.
Pour cet ardent défenseur du terroir, un vin juste devait « avoir la gueule de l’endroit et de l’année où il est né, et les tripes du bonhomme qui l’a fait ». Une phrase devenue célèbre. Il fustigeait ainsi le levurage avec des levures marquant les vins, les copeaux de bois et par extension tout ce qui dénaturait les vins. « Trop d’acteurs dans le monde du vin ont abîmé l’image du vin. Les gens sont trompés et se laissent tromper », regrettait-il. Au-delà de la filière vin, il s’élevait contre l’industrialisation à marche forcée de l’agriculture française et se réjouissait dès qu’un domaine indépendant le restait en étant repris par les enfants.
Passionné de vins, mais aussi de tous les bons produits du terroir, Jacques Puisais a, en outre, collaboré avec de nombreux chefs parmi lesquels Pierre Troisgros et Alain Senderens, en vue de marier vins et mets. En 1983, il participe à la création de La Paulée des vins de Loire avec Georges Jallerat, le patron du restaurant Le Grand Monarque, à Chartres. L’idée est de mettre à l’honneur les vins et les hommes du terroir ligérien lors d’un dîner accordant mets et vins. Un rendez-vous épicurien annuel qui perdure encore aujourd’hui.
Épicurien, hédoniste, Jacques Puisais ne boudait pas son plaisir. « J’ai eu tellement de bonheur à table », disait-il. Membre, président ou vice-président d’une kyrielle d’organismes et associations, il a continué à transmettre ses connaissances et ses convictions jusqu’à la fin de sa vie. Il était reconnu dans le monde entier et son enseignement sur le goût a fait école, notamment au Japon. Jacques Puisais s’est éteint sur sa terre rabelaisienne d’adoption, dans le Chinonais, le 6 décembre 2020, à l’âge de 93 ans.