is à mal par une sécheresse prolongée et des pics de températures épisodiques, les vignobles espagnols qui restent à vendanger sauveront peut-être la mise sur le plan des volumes cette année grâce à des précipitations très importantes survenues début septembre. « Fin juillet, début août les vignes étaient très belles, très saines », explique le courtier David Martin. « Mais lorsque les vendanges ont débuté, les producteurs se sont rendu compte que la vigne avait souffert plus que prévu des fortes températures cette année ». C’est le cas notamment des cépages internationaux tels que le chardonnay, le sauvignon blanc et le muscat, dont les volumes s’avèrent en baisse par rapport à l’an dernier. De là à prédire une récolte nationale en régression de 30 à 40% il n’y a qu’un pas, que plusieurs organisations agricoles n’hésitent pas à franchir, mais pas David Martin : « Certes, on assiste à une baisse de production, pour les cépages internationaux et pour certaines régions viticoles comme la Catalogne. Mais c’est La Mancha qui contribue le plus à la production nationale ».
Dans ce cas, alors que les vendanges du cépage emblématique du premier vignoble espagnol – l’airén – commençaient tout juste à se généraliser, il est tombé de fortes précipitations qui risquent d’avoir un effet positif sur les volumes. « Ces précipitations sont arrivées à point nommé », confirme le courtier espagnol. « La plupart des viticulteurs apportent un peu d’eau juste avant les vendanges pour booster un peu les raisins et améliorer l’état sanitaire des ceps. En l’occurrence, c’est dame nature qui l’a fait pour eux ! » Si les coopératives espagnoles situent la production 2023 entre 34 et 36 millions d’hectolitres – un chiffre que vient de reprendre le ministre espagnol de l’Agriculture dans une interview diffusée à la radio – David Martin penche plutôt pour un volume global aux alentours de 38 à 39 Mhl. Et de considérer d’ailleurs que « ce serait un bon résultat puisqu’il impliquerait des disponibilités moindres de vins rouges, moins de cépages internationaux comme le merlot, le cabernet et la syrah ».
Comme ailleurs dans le monde, l’Espagne souffre d’une offre de vins rouges qui ne trouvent plus preneurs. « L’année dernière, les vins rouges étaient bien moins chers que les blancs. Ce n’est pas normal. Cette année, les prix des raisins rouges atteignent des niveaux que je n’avais encore jamais vus. Ils sont en baisse de 20 à 30% - contre une stabilité globalement pour les blancs – et ne sont pas rentables pour les producteurs. En même temps, ils sont alignés sur la demande internationale. L’année dernière, les bodegas ont acheté des raisins à un certain prix mais n’ont pas réussi à défendre ce positionnement sur le marché mondial, donc cette année ils sont plus prudents ». Si cette position est tout à fait logique, elle n’en implique pas moins un scénario extrêmement compliqué pour les viticulteurs : « Beaucoup d’entre eux envisagent de se reconvertir et de planter des pistachiers ou des amandiers par exemple, puisqu’ils vendent actuellement à des tarifs en dessous du prix de revient. Je ne pense pas que cette situation soit tenable très longtemps ». Autre option de plus en plus contemplée : transformer les raisins rouges en vins rosés, tranquilles ou mousseux.
La problématique est d’autant plus complexe cette année que les teneurs en alcool plus élevées du fait des fortes températures excluent certaines possibilités de transformation en moûts concentrés. « Il ne fait aucun doute que les raisins affichent davantage de concentration et d’alcool que l’an dernier. En 2022, le chardonnay et le sauvignon titraient entre 10,5 et 11,5%, alors que cette année on tourne autour des 11,5 à 12,5%. Cela se conjugue aux difficultés rencontrées par un opérateur historique du secteur des moûts, Mostos Españoles, qui va sans doute acheter un tiers ou un quart de ce qu’il achète habituellement. D’autres opérateurs viendront saisir certaines opportunités mais cela ne suffira pas à compenser ces pertes ».
Sur une note plus positive pour la filière espagnole, la production italienne risque d’être plus faible cette année et ses moûts donc potentiellement plus chers. Globalement, les acheteurs italiens cherchent actuellement à sécuriser certains approvisionnements pour se protéger contre une hausse des tarifs qui pourrait découler des volumes en baisse, même s’il s’agit davantage de prospection que de signature de contrats fermes. Idem parmi les acheteurs français. « Actuellement, la situation est floue. Les Espagnols veulent avoir une idée plus précise de leur propre production avant de s’engager et la situation se précisera avec la récolte de l’airén. Dès lors, nous assisterons à davantage d’activité », prédit David Martin. « Pour l’heure, l’ambiance est spéculative. Il en est de même du côté de la France. La récolte semble bonne et je pense que les prix des vins rouges seront semblables à ceux des vins espagnols, puis il faut ajouter les frais de transport. Donc, peut-être que les Français achèteront d’abord en France puis ils viendront en Espagne et non l’inverse comme ils ont l’habitude de faire ».