l’instar de sa voisine du Languedoc, l’interprofession des vins du Roussillon (CIVR) est entrée depuis le début d’été dans une zone de turbulences qui, à moyen terme, pourraient mettre en péril sa composition. En effet, fin juin, l’absence de quorum parmi les votants a contraint au report d’une assemblée générale finalement tenue le 18 juillet. « Il y a eu volonté de faire un coup d’éclat de la part de votants du collège production, dans une forme détestable où on m’a envoyé un SMS à quelques minutes du début de l’assemblée générale », relate le président du CIVR Stéphane Zanella.
En cause, donc, la demande de plusieurs membres du conseil d’administration du CIVR, représentants d’ODG de vins secs du Roussillon, porteurs de 7 voix du collège production et réunis dans une salle attenante à l’AG, « d’avoir une entrevue avec Stéphane Zanella avant que l’AG ne démarre, dans le but de lui faire part de remarques sur sa présidence, mais en aucun cas avec la volonté de bloquer cette AG », décrit Jean-Philippe Mari, président de l’ODG côtes du Roussillon et côtes du Roussillon villages, qui précise également que « nous avions d’ailleurs validé les comptes du CIVR lors du conseil d’administration la semaine précédant l’AG ».
« Je n’allais pas me rendre à genoux pour supplier des gens qui utilisent des méthodes déplorables de rencontre improvisée, alors que tout est ouvertement discuté et voté en conseil d’administration », appuie Stéphane Zanella. Sans cette rencontre, personne ne bouge, le quorum n’est pas atteint, et l’AG est ajournée au 18 juillet. « Sans quorum, une AG est statutairement reportée et n’a plus besoin de quorum lors de la nouvelle tenue. Mais ce groupe a profité d’absences prévues de votants pour jouer sur ce quorum. Lors de la 2ème AG, ils ne sont pas venus mais le quorum était malgré tout atteint car les autres votants se sont déplacés », recentre Stéphane Zanella très remonté.
Au-delà des considérations statutaires, cette séquence fait office d’étincelle sur un brasier qui mijotait au sein de l’interprofession catalane. « Cela fait deux ans que nous nous posons des questions sur le fonctionnement de l’interprofession », avertit Laurent Girbeau, président du syndicat de l’IGP côtes catalanes, « le mois précédent l’AG, notre ODG avait déjà envoyé un courrier recommandé au CIVR déplorant le manque d’effort de promotion du CIVR en faveur de nos vins IGP, sans quoi nous n’aurions pas d’autre choix qu’envisager le retrait ». Expliquant que 130 000 des 150 000hl de son IGP sont vendus directement en conditionné, « dont 100 000hl en mise en marché directe dans le département », Laurent Girbeau et son conseil d’administration en appellent à un soutien plus important de l’interprofession à la promotion de leur IGP dans le département.
Jean-Philippe Mari reproche de son côté à Stéphane Zanella « de ne pas respecter les statuts de l’interprofession en prenant des décisions qui ne sont pas discutées et validées en conseil d’administration ». S’il ne remet pas en question la légitimité du groupe Vignerons Catalans (dont Stéphane Zanella est le directeur général) à développer la marque de vins de France des Vignes du Vent, Jean-Philippe Mari digère mal que « le communicant (le consultant Pascal Péroncel, ndlr) qui a développé ce concept de marques dénigre autant les AOC, alors qu’il travaille pour l’entreprise où officie le président du CIVR, qui est censé être le défenseur des appellations qui composent l’interprofession ! ».
Pour son homologue président des AOC du Cru Collioure-Banyuls Romuald Peronne, c’est bien là que le bât blesse. « Plus personne ne croit en nos signes de qualité alors que nous payons pour ça, autant donc nous ne occuper nous-mêmes !», tranche-t-il. Il positionne son Cru en haut de la hiérarchie des appellations, « mais nous savons très bien que le président du CIVR n’a rien à faire de notre petit Cru qui ne pèse que 2% des cotisations au CIVR. Mais contrairement aux autres, nous avons un plan de sortie donc nous avons mis la sortie de l’interprofession à l’ordre du jour de notre assemblée générale de fin 2023 ». Les présidents des ODG IGP côtes catalanes et AOP côtes du Roussillon et villages indiquent à présent ouvrir la réflexion en ce sens au sein de leurs syndicats.


Derrière cette fronde, Stéphane Zanella voit sans hésitation « la volonté agressive des Vignerons indépendants d’avoir plus de pouvoir dans les interprofessions en général alors qu’au CIVR, le négoce et les caves coopératives génèrent 75% des cotisations », et défend l’importance d’une « communication collective et globale plutôt qu’une balkanisation néfaste ». Il situe également que les cotisations liées aux vins doux naturels « contribuent à près de la moitié des ressources du CIVR » et que les actions de communication collective doivent en tenir compte au regard de la répartition des fonds. Le président départemental des Vignerons indépendants Guy Jaubert (qui ne siège pas au CIVR) réfute toute manœuvre de son organisation et souligne que c’est « avant tout un climat de dialogue et de discussion qui est nécessaire au CIVR, toutes les composantes doivent se sentir accompagnées et écoutées, c’est ce qui manque depuis quelque temps ».Il ajoute que les vins doux naturels ne représentent « que 20% des volumes produits dans le Roussillon ».
Vigneron indépendant siégeant au CIVR et précédent président de l’interprofession, Philippe Bourrier relève que « les conseils de direction sont devenus une simple chambre servant à entériner des budgets qui ne sont pas discutés, tout est présenté trop rapidement sans échanges ». Comme Guy Jaubert, il appelle lui aussi à « s’asseoir autour d’une table tous ensemble, c’est le seul moyen d’avancer car, en tant que vigneron, je suis pour une interprofession forte et redoute une sortie des ODG qui y adhèrent ». Si la volonté de dialoguer est posée, Stéphane Zanella souligne n’avoir plus de son ni d’image de la part de ceux qui voulaient le rencontrer en marge de l’AG. « Cet épisode a laissé des traces auprès d’un négoce maintenant très remonté contre ce qui s’est passé et qui se pose lui aussi la question du retrait », ajoute-t-il. Les protagonistes interrogés s’accordent pourtant tous sur le fait que la profession n’a pas besoin de telles dissensions, à l’heure où elle traverse une situation économique bien compliquée et une récolte 2023 dont la sécheresse va affecter les rendements. Parviendront-ils à se parler, ou d’autres retraits de l’interprofession roussillonnaise sont-ils encore à craindre ?