ierre-Éric Jolly, viticulteur à Landreville, dans l’Aube, embauche chaque année une soixantaine de vendangeurs pour récolter ses 14 ha. Il en loge cinquante dans un bâtiment qu’il a refait à neuf en 2018 pour 200 000 €. « C’est un gros montant pour huit jours par an, mais c’est le moyen d’avoir des vendangeurs payés à l’heure, ce qui est un gage de qualité, estime-t-il. Et je suis assuré de les voir tous au travail à 8 heures. »
Les chambres, non mixtes, accueillent entre deux et six vendangeurs, surtout des étudiants. « Notre vendangeoir n’est pas un centre de vacances, décrit Pierre-Éric Jolly, mais il y règne l’état d’esprit des stages de l’UCPA. Les vendanges doivent rester un moment joyeux. »
Avec une équipe de cette taille, aucun détail n’est laissé au hasard. Et cela commence dès le recrutement. « On les prévient qu’ils seront en pension complète et on leur décrit le fonctionnement de l’exploitation, précise le vigneron. On leur cherche les horaires de train pour faciliter leur arrivée et on leur conseille d’apporter leur guitare s’ils en joue, des livres, leur maillot de bain car il y a une rivière pas loin où ils peuvent se baigner ou faire du kayak. »
Le premier jour, ce viticulteur organise une soirée d’accueil où il explique comment se déroulent les vendanges. Il leur montre des photos de raisins sains et de raisins à trier. Il précise que les portables sont interdits à table pour instaurer de la convivialité. « Quand le temps est maussade, c’est bien que l’ambiance soit chaleureuse, souligne-t-il. Le soir, je passe d’employeur à chef de dortoir. La priorité est à ceux qui veulent dormir. Alors on a aménagé un foyer pour ceux qui veulent “durer” dans lequel on anime les soirées avec des jeux de société, des initiations à l’hypnose, du baby-foot, de la guitare ou de l’accordéon. Il faut les occuper, sinon ils ont tendance à boire. »
L’alcool est interdit, à l’exception d’un apéritif au champagne tous les soirs. Les déjeuners sont pris assis, dans le réfectoire, pour instaurer un moment de pause et d’échanges. Le matin, Pierre-Éric Jolly incite ses vendangeurs à prendre un petit-déjeuner, une habitude que n’ont pas forcément les plus jeunes. Une somme d’attentions qui l’aide à former son équipe tous les ans.
En Gironde, Stella Puel, gérante du Château Bardins, à Cadaujac, s’investit, elle aussi, pour que les vendanges soient un bon moment : « Nous n’avons pas beaucoup de temps pour créer un esprit d’équipe dans une période si importante pour nous. Nous embauchons une vingtaine de vendangeurs par an. C’est particulier de recevoir autant de personnes pour une courte période. »
Le Château Bardins recrute ces saisonniers par les réseaux sociaux, avec l’aide de Pôle Emploi ou par des panneaux qu’il a installés au bord de la route. Le profil des vendangeurs est varié. Il y a des jeunes qui ont pris la route avec leur camion, des étrangers qui font les saisons, des étudiants, des jeunes retraités et des personnes entre deux emplois.
Stella Puel prend le temps d’accueillir chaque vendangeur. « Je m’intéresse à leur vie et d’où ils viennent, précise-t-elle. Cela ne prend que cinq minutes. C’est informel, mais c’est important de vraiment les regarder, de leur sourire, de les remercier d’être là et de leur dire qu’on a besoin d’eux. »
À leur arrivée, les vendangeurs reçoivent un livret d’accueil qui leur présente la famille, un plan du château qui mentionne où sont les douches, les toilettes, le lieu de RDV du matin, ainsi que le numéro de téléphone du chef d’équipe et les horaires de travail.
Le Château Bardins ne loge pas les vendangeurs, mais leur propose un espace pour garer leur camion ou planter leur tente avec de l’électricité, un frigo à disposition et des sanitaires. La moitié des vendangeurs, soit une dizaine, s’y installe. Pour les repas du midi, dont les coupeurs s’occupent eux-mêmes, Stella Puel leur propose un lieu à l’abri, avec des tables et des bancs. La pause de 10 heures, prise en bordure des vignes, comprend du café, du thé, des biscuits et du chocolat offerts par la maison.
« On fête les anniversaires avec des bougies sur un gâteau à la pause de 10 heures, raconte Stella Puel. Tout le monde chante. Il y a souvent beaucoup d’émotion. Certains n’ont pas reçu beaucoup d’attention dans leur vie. »
En 2022, ce château a accueilli douze nationalités différentes. « Nous échangeons des recettes, précise-t-elle. Un soir, les Italiens nous ont préparé un risotto. Et un espagnol a peint le château pendant son temps libre et me l’a offert à la fin des vendanges. » Les chiens sont acceptés dans les vignes tant qu’ils sont calmes, sinon ils restent dans les camions.
Les vendanges se terminent chaque année par un repas festif en soirée. « C’est vraiment important pour nous que les vendanges soient un temps de travail et de partage, résume Stella Puel. Nous apprécions de voir que les vendangeurs passent ensemble un agréable moment, qu’ils se sentent encouragés par notre chef d’équipe. » La bonne ambiance les incite à recommander cette adresse à leurs connaissances. Un cercle vertueux, donc.
La Champagne accueille tous les ans entre 100 000 et 120 000 vendangeurs. Une partie de ces cueilleurs étant des gens du voyage, la préfecture de la Marne et le Syndicat général des vignerons adressent chaque été un mail aux vignerons pour leur rappeler qu’ils ont le devoir de leur proposer un terrain disposant de l’eau potable et de sanitaires et de leur fournir des poubelles et de s’assurer de la collecte régulière des ordures ménagères. Après le départ des caravanes, c’est aux vignerons de nettoyer et de remettre en état les abords du terrain s’il a subi des dégradations.