n 2023 après Jésus Christ, les critiques de vin se sont majoritairement détourné de la dégustation à l’aveugle. Tous ? Non ! Un groupe d’irréductible continue à demander de cacher systématiquement* l’étiquette avant de note la cuvée. Parmi eux, les deux rédacteurs du Point (holding Artémis de la famille Pinault) : Olivier Bompas et Jacques Dupont. Dégustant pendant trois semaines ce mois d’avril les vins livrables et en primeur du bordelais, les deux journalistes reconnaissent faire partie des derniers dégustateurs à tenir à la dégustation à l’aveugle pour noter les vins. « Partout où nous le pouvons, nous dégustons à l’aveugle. Cela gomme sans doute les particularités de certains vignerons, mais cela nous permet d’être tranquilles : on n’a pas à se demander pourquoi on n’a pas bien goûté tel château alors que tout le monde le note bien » explique Jacques Dupont.
Autre point de vue avec Jérôme Baudouin, rédacteur en chef de La Revue du vin de France (groupe Marie Claire), lors d’un entretien l’an passé à la Cité du Vin : « quand on goûte à l’aveugle c’est toujours le vin le plus puissant qui émerge » expliquait le dégustateur, pointant que « quand on ne goûte pas à l’aveugle, on réfléchit plus au style du vin en profondeur. On réfléchit plus en profondeur au style du vin en propriété. La limite est là, ça reste une dégustation un peu superficielle, pour voir les tendances globales. » Une vision que ne partage pas Jacques Dupont : « quand on ne déguste pas à l’aveugle, on peut s’empêcher de voir la progression d’un cru à cause de sa réputation ». Le critique ajoutant que le système de sélection à l’aveugle n’empêche pas d’aller visiter les propriétés sélectionnées pour comprendre leurs pratiques vitivinicoles. Mais ne pas connaître l’étiquette permet de sortir des hiérarchies et de laisser la place aux surprises, sur l’évolution d’une propriété, et découvertes, avec de nouveaux venus. Olivier Bompas se souvient ainsi d’avoir déniché parmi 140 Pineaux des Charentes une pépite portée par deux jeunes vigneronnes : « s’il n’y avait pas eu de dégustation à l’aveugle, je ne les aurai sans doute pas repérées » pointe-t-il.


La mise en avant dans les numéros spéciaux dédiés au vin du Point « permettent vraiment de lancer des jeunes » confirme Emma Baudry, la directrice du syndicat des vins AOC de Cadillac, qui accueille cette dégustation des vins liquoreux livrables hors crus classés : soit 90 vins de Cérons Loupiac, Sauternes… Chaque bouteille sous sa chaussette d’anonymisation. « Si l’on déguste avec l’étiquette, on a ses aprioris. La vue joue beaucoup sur la dégustation » pointe Jacques Dupont, se rappelant de dégustations de grands vins sur d’anciens millésimes où des défauts « phénolés » et « vérolés » étaient, si ce n’est acceptés, du moins gommés par le prestige pour des consommateurs.
La dégustation de vin étant un acte culturel, nourri par la connaissance des vignobles et de leur cote auprès des amateurs, la subjectivité reste inhérente à toute dégustation de vin. « Je laisse aux gens le soin de rêver » réplique Jacques Dupont, qui cherche une forme d’objectivité avec la dégustation à l’aveugle. « Nous sommes là pour faire un guide d’achat pour des consommateurs qui n’ont pas le temps de tout goûter et que nous conseillons » renchérit Olivier Bompas, ajoutant que « la dégustation à l’aveugle est un travail purement technique, sans influence ». Revisitant une citation de Winston Churchill sur la démocratie, Jacques Dupont conclut : « la dégustation à l’aveugle est le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés ».
* : Exercice impossible pour certains grands crus notent les deux dégustateurs, qui passent par les Organismes de Défense et Gestion (ODG) pour appeler des échantillons auprès des domaines souhaitant participer.