vant la crise covid, ce n’est pas peu dire que l’ambiance était morose en Champagne : alors que le Prosecco affichaient des croissances insolentes, les ventes de bulles champenoises s’effritaient en volumes, passant en dessous des 300 millions de cols vendus (297,6 millions de cols en 2019). Mais ça, c’était le monde d’avant covid. Depuis que la crise sanitaire est passée, c’est l’effervescence. « Avant, il y avait l’impression que le marché était en déclin sur l’entrée de gamme en volume (avec le marché français) et se valorisait avec le développement sur le plus haut de gamme (notamment à l’export). La crise covid a eu un impact psychologique fort : le champagne a changé de moment de consommation, se positionnant sur l’instant festif à domicile, surtout au moment des repas » analyse Charles-Armand de Belenet, le directeur général des champagnes Bollinger, notant qu’« avec la sortie de la crise covid, l’aspiration du on-trade a accéléré. Ça a pris toute la Champagne par surprise. Avant, tout le monde était déprimé, maintenant, tout le monde est euphorique. »
« Il y avait une désaffection d’une appellation traditionnelle, aujourd’hui c’est tout l’inverse qui se produit, à notre plus grande surprise. Il y a une envie de célébration dans le monde entier avec le prestige de l’AOC Champagne » indique Christophe Juarez, le directeur général du groupe coopératif Terroirs & Vignerons de Champagne (TEVC). Une soif de champagnes qui « porte les ventes à un niveau difficile à suivre » et impose des arbitrages entre clients et marchés note Christophe Juarez. Pour les marques Nicolas Feuillatte, Castelnau et Abelé, TEVC applique depuis juillet 2022 des allocations pour toutes les cuvées : « c’est une circonstance nouvelle. Nous avons accéléré le mouvement de rationalisation des gammes » indique le directeur de TEVC, qui rectifie les allocations selon les tendances de marché (repli en Grande Bretagne mais forte demande des compagnies aériennes).
Avec un rendement 2020 volontairement limité à 8 000 kg/ha (par prudence face à l’incertitude de la crise covid) et des vendanges 2021 réduites par la nature à 7 000 kg/ha (« année en un, année en rien » dit le dicton), les stocks sont restreints dans l’ensemble de la filière champenoise. Avec des ventes de 320 à 330 millions de cols actuellement, la production de 250 millions de bouteilles fait pâle figure. Ce qui conduit à des tensions et des ruptures alimentant la demande. « Le contexte est favorable, les acheteurs cherchent des volumes qu’ils ne trouvent pas. Ils sont prêts à acheter, mais pas tout et n’importe quoi » explique Julien Jolly, le directeur export des champagnes Pannier (Château-Thierry, Covama), qui ne cherchent pas de nouveaux clients ou marchés à ouvrir (malgré les demandes). La demande dépassant l’offre, les prix sont logiquement sous forte tension en cette période d’inflation.


Sous contrainte, « le prix du raisin a augmenté cette année et devrait encore augmenter l’année prochaine » pose Christophe Juarez, qui souligne l’explosion du prix des matières sèches (bouteilles, capsules…). « Le prix du raisin a augmenté de 10 % en 2022, on part sur +7 à +8 % en 2023. Le raisin est la composante numéro un du prix du champagne » ajoute Charles-Armand de Belenet, pour qui la double tension actuelle entre la disponibilité et les prix ne va pas durer. « On va se faire rattraper par les volumes contraints de production. On ne va pas pouvoir rester à ces volumes. Les niveaux de stock baissent » analyse-t-il, pressentant un retour à la polarisation du marché : entre entrée de gamme sur le déclin (après l’effet d’aubaine de la demande actuelle) et le développement du haut de gamme (entre premiumisation et glamour : LVMH et Jay-Z, Telmont et Leonardo DiCaprio, Miraval et Brad Pitt…). La filière champenoise s’attend ainsi à une baisse de ses commercialisations en volume alors que les rendements vont rester contraints par le changement climatique et la transition agroécologique. « On fera moins, mais mieux, nous sommes dans une phase de valorisation » conclut Charles-Armand de Belenet.