ans les allées du salon Millésime Bio, la question du surplus d’offre de vin bio en vrac arrivé lors de ce millésime 2022 n’a pas occupé tous les esprits, mais relevait des interrogations chez les opérateurs concernés. « Nous proposons une offre bio depuis plusieurs années et ça coince franchement cette année, les contractualisations n’avancent pas et encore moins les retiraisons. On ne parle pas encore de déconversion, mais si la rémunération ne suit pas pour ceux qui ont fait des efforts, il va y avoir de grosses difficultés », prévient le directeur d’une importante cave coopérative languedocienne croisé dans les allées du salon.
Soucieuse d’accompagner la filière dans cet aspect conjoncturel, l’organisation étrennait cette année un signalement spécifique des exposants proposant une offre de vin bio en vrac, pour laquelle 17 % des participants ont opté. Une table ronde sur le sujet spécifique du vrac bio était également organisée pour apporter des éclairages sur une situation qui nourrit des inquiétudes. L'association interprofessionnelle SudVinBio estime à 25% la part de vins bio vendue sur le marché du vrac. « En deux-trois ans, nous sommes passés d’une offre vrac de vin bio à l’export où la France était quasi inexistante à une place de 1er plan, ce saut va donc nécessiter du temps pour accéder à de nouveaux marchés de volumes », analyse Florian Ceschi, directeur du cabinet de courtage Ciatti Europe.
Thomas Verdeil, acheteur du négoce Les domaines Auriol joue la franchise en annonçant d’emblée que ses volumes d’achat de vins bios ne vont pas augmenter lors de cette campagne. Mais il soutient « que ce marché spécifique reste dynamique, car nous voyons arriver les appels d’offre, mais ceux-ci nécessitent beaucoup de temps pour aboutir ». Partisan d’une vision optimiste de cette crise de croissance de l’offre de vins bios, il relève néanmoins « qu’il faut s’attendre à une ou deux années compliquées car ces marchés export vont se débloquer progressivement, il nous faut tous être capable de faire le dos rond car les perspectives sont là ».
C’est pourtant ce temps de latence qui inquiète la production, en particulier ceux qui sont arrivés récemment sur ce marché du bio. « La situation actuelle n’est pas propre au bio, car cela touche à l’ensemble du marché vrac du vin », ajuste Frédéric Saccoman, directeur des vignerons de la voie d’Héraclès, la « 1ère cave coopérative bio de France avec 100 000 hl de vin bio ». Il concède cependant que l’équation de la rémunération du bio à sa juste valeur se complique alors que le mois de février et le versement des acomptes de la récolte 2022 aux adhérents de coopératives pointe son nez. « Nous sommes conscients que le marché passera par un écoulement de volumes de vins bios en conventionnel, mais il est essentiel que tout le monde joue le jeu de maintenir le conventionnel au prix du conventionnel et le bio au prix du bio, sinon on se tire une balle dans le pied », renchérit-il.


Un négociant vinificateur languedocien croisé dans les allées du salon estime pourtant que ce point de bascule « est en train d’arriver. Nous sommes début février et les contractualisations de vins bios sont trop frileuses pour des caves coopératives qui doivent régler des acomptes à leurs adhérents. Pour évacuer les volumes, certains se disent prêts à lâcher des vins certifiés bios au prix du conventionnel », résume-t-il. Il illustre par l’exemple « un groupement de coopératives qui a produit en 2022 plusieurs dizaines de milliers d’hectolitres de vins bios n’en a pour l’heure vendu que 15 %, ils vont forcément devoir rabattre une partie de cette offre en conventionnel ». Il tempère néanmoins en précisant que le problème tient plus au marché global du vrac en général « qui se tient bien sur les blancs, mais qui est compliqué pour l’offre rouge et même rosé. Mais on voit bien que les négoces metteurs en marché de bio n’ont pas les marchés nécessaires pour écouler les volumes ».
Un courtier d’Occitanie en visite sur le salon confirme « ce manque de débouchés pour les volumes importants » de ce marché bio du vrac. Beaucoup de producteurs se disent donc résolus à vendre ces volumes en conventionnel. « Pour l’instant, même s’ils affichent une légère baisse, les cours du bio se maintiennent plus ou moins, car les opérateurs ne cèdent pas à la tentation de contractualiser des bios au prix du conventionnel, ce qui aurait également un impact certain sur le marché du conventionnel, qui, hormis les blancs, n’affiche pas non plus une dynamique exceptionnelle », ajoute Florian Ceschi. Il ajoute que les producteurs de vins bios en vrac doivent prendre conscience « que l’on est entré dans un cycle plus long de commercialisation des volumes de vins bios, où il ne faut plus espérer des retiraisons complètes des volumes avant la prochaine récolte ». Les capacités de stockage dans de bonnes conditions de ces volumes semblent devenues un paramètre essentiel pour exister sur ce marché.
Toujours rassurant, Thomas Verdeil estime que les retiraisons devraient avancer d’ici l’été 2023. « La situation anxiogène n’est pas fondée car il faut au contraire y voir un confort permettant de répondre aux marchés qui nous demandent des volumes. Cette augmentation de l’offre est une situation que nous avons tous voulu, production et négoce. Nous y sommes et devons faire le dos rond en attendant que tous les marchés prospectés se débloquent, il faudra simplement du temps », résume-t-il. Vice-président de la cave des Celliers du Soleil à Cuxac d’Aude, qui a produit 30 000hl de vin bio en 2022, Laurent Girbeau va également dans ce sens « d’une nécessaire patience à avoir pour ce marché du vin bio, il va effectivement falloir faire des efforts en ne valorisant pas tout en bio tout de suite, mais nous nous y retrouverons par la suite ».