i vous n’avez pas encore entendu parler des NFT – jetons non fongibles, Non Fungible Token en anglais –, préparez-vous. Très répandues dans l’univers du luxe et de l’art, ces trois lettres font leur apparition dans le monde du vin. De quoi s’agit-il ? « C’est un titre de propriété numérique », explique Marion Barral, consultante chez AOC Conseils. « Un certificat infalsifiable, auquel on peut ajouter des informations sur la vie d’une bouteille de vin : les lieux où elle a été stockée, ses propriétaires successifs... », complète Camilo Gomez Vargas, responsable marketing digital chez Bernard Magrez.
Aujourd’hui, les NFT sont surtout utilisés pour la vente de flacons de haut vol à des collectionneurs sans que ces bouteilles leur soient expédiées. La Maison Bouey, à Ambarès-et-Lagrave, en Gironde, s’est lancée l’an dernier.
« Nous y voyons de nombreux intérêts, indique Jacques Bouey, son président. Habituellement, une bouteille de grand cru passe par plusieurs intermédiaires avant d’arriver chez le client : négoce, importateur, distributeur… et il arrive que des faux circulent. En Asie, des bouteilles sont vidées puis remplies avec un vin de moindre qualité et revendues au prix fort. Avec les NFT, les vins dans nos chais sont conservés dans des conditions optimales jusqu’à ce que leurs propriétaires les demandent. »
Pour générer un NFT, il faut compter de 1 à 5 € suivant les plateformes qui émettent ces certificats. « Nous avons rattaché nos NFT à des caisses de six bouteilles et non à des flacons, précise Jacques Bouey. C’est plus économique. » Le négociant a mis en vente ces certificats numériques sur des plateformes spécialisées comme Binance, WiV et Farandole, et par le biais de la chaîne de cavistes La Nouvelle Cave. « Nous en avons vendu une vingtaine en deux vagues l’an passé, ce qui a rapporté 25 000 euros. »
Une bonne partie des acheteurs de NFT ne cherchent pas à détenir physiquement ces bouteilles. « Ce sont des investisseurs, expose Martin Cubertafond, consultant et maître de conférences à Sciences-po. Ils visent une plus-value à la revente. Autrefois, celle-ci échappait aux producteurs du vin. Avec les NFT, ce n’est plus le cas. Quand un producteur lie un NFT à son vin, il peut lui adosser un « smart contract » qui prévoit un partage de la plus-value selon un pourcentage entre lui et le vendeur du NFT. » Selon l'enseignant, c’est l’un des principaux intérêts des NFT.
« Les NFT permettent également aux marques de créer un lien avec leurs consommateurs », ajoute Camilo Gomez Vargas. En 2022, à l’occasion des 770e vendanges du Château Pape Clément, son propriétaire Bernard Magrez a créé le Club Château Pape Clément. Pour y adhérer, il fallait acheter un NFT. Montant : 310 €. « Nous avons clôturé la vente quand nous avons atteint 1252 souscripteurs, chiffre qui correspondant à l’année de la première vendange du château », précise le responsable marketing digital.
Le « pack » correspondant à ce jeton comprend une bouteille, et une œuvre virtuelle réalisée par l'artiste Pierre-Blaise Dionet. « Et nous allons convier les membres du club à des événements prestigieux, des journées portes ouvertes, des dégustations privées…, enchaîne Camilo Gomez Vargas. En janvier, nous les avons invités au vernissage de l’exposition Soulages organisée par notre institut culturel. » L’opération a permis d’entrer en relation avec des afficionados de ces solutions numériques. Un public très différent de l’amateur de vin.