e vrac, c’est un tiers des échanges mondiaux mais au final, un petit nombre d’opérateurs en amont et en aval. « Il doit y avoir une centaine d’acteurs clés dans le monde pour des volumes extrêmement conséquents », confirme James Carter, directeur du développement auprès du géant américain Bronco, « le plus gros producteur de raisins au monde ». La World Bulk Wine Exhibition n’est donc pas un salon où les visiteurs affluent par dizaines de milliers, mais plutôt un rassemblement qualitatif entre opérateurs qui se comprennent. « Huit visiteurs sur dix sont des acheteurs sérieux », estime Ben Jordann, directeur des opérations au sein de la société sud-africaine Cape Wine Exporters.
Après les péripéties de ces dernières années – y compris des mesures de couvre-feu aux Pays-Bas en 2021 – l’édition 2022 a retrouvé sa vitesse de croisière. Les organisateurs évoquent quelque 6 000 visiteurs cette année, mais parmi eux, tous les grands acheteurs, que ce soit les représentants des monopoles scandinaves, les acheteurs de la GMS européenne ou les importateurs américains. Seuls absents notables et pour cause : les Asiatiques et les Russes. Malgré ce, la satisfaction parmi les quelque 220 exposants était palpable : « C’est un bon salon et un événement incontournable dans une année qui ne s’annonce pas des plus faciles », explique Mathias Korahanis, commercial export auprès de la coopérative languedocienne Les Collines du Bourdic, qui a choisi d’être présente sur le stand de la coopération d’Occitanie. « Sur un marché mondialisé cela nous donne de la visibilité, nous représentons plus d’un million hectolitres ».
Cette année plus que jamais, dans le contexte actuel, les challenges auxquels le secteur doit faire face prennent aussi une dimension mondiale. Entre pénuries et tendance inflationniste des matières sèches et de l’énergie, le casse-tête logistique qui s’améliore mais perdure, et l’évolution de la consommation en faveur des vins blancs au détriment des rouges, tous les opérateurs sont confrontés aux mêmes problèmes. Devant ce phénomène, « les acheteurs sont compréhensifs et réalistes quant à la poussée inflationniste du marché », estime Mathias Korahanis, « mais ils adoptent une position attentiste, ils sont précautionneux ».
Que ce soit dans le Nouveau Monde ou en Europe, les opérateurs constatent des retiraisons plus étalées dans le temps, un ralentissement des achats et une impossibilité quasi générale de pouvoir répercuter toutes les hausses de coûts subies sur les prix de leurs produits. « Malgré une récolte en baisse de 15 à 2 0% cette année, nos prix stagnent », note José Luis Garrido, président de Vialcon, un regroupement de 13 caves coopératives dans la région de Castilla La Mancha. « Le marché n’a pas encore démarré mais nous savons que nous ne pourrons pas répercuter les augmentations de prix des matières sèches sur nos tarifs ». Son avis est partagé par Leonardo Olazabal, responsable de la société argentine Tierra del Huarpe dans la province de San Juan : « Il me semble que le prix des vins ne pourra pas augmenter parce que la consommation va baisser ». Une situation qui fait dire à James Carter de Bronco, « Je ne pense pas qu’il y ait des producteurs de vins en vrac actuellement dans le monde qui gagnent de l’argent ». Néanmoins, pour le Dr Luca Sabatini, directeur export de la Cantine Soave en Italie, « l’année prochaine, nous ne serons pas en mesure d’absorber les augmentations de coûts ».
Au-delà des questions tarifaires, se posent les problématiques énergétiques. Entre les phénomènes de coupures de courant et des prix qui explosent, la filière fait preuve de réactivité pour gagner en coûts et en autonomie. « Face à de fréquents délestages, le secteur sud-africain a dû investir dans des panneaux photovoltaïques et des groupes électrogènes », observe Ben Jordann de Cape Wine Exporters. Chez Cuatro Rayas dans la zone de Rueda en Espagne, c’est la flotte de voitures électriques qui s’agrandit aux côtés du parc solaire. Si ces investissements se font parfois au détriment des achats de matériel de cave, ils vont néanmoins dans le bon sens. Une direction que semble prendre également la chaîne logistique internationale. « En 2021, le nombre de conteneurs transportés a atteint un niveau inédit », explique Stephan Marusczyk, directeur des opérations au sein de VinLog, le pôle boissons de Kuehne + Nagel. « Mais on est désormais tombé globalement en dessous des niveaux de janvier 2019 ». Certes, cette baisse d’activité ne concerne pas toutes les routes maritimes, mais elle s’accompagne d’une meilleure fiabilité des délais et d’une amélioration de la congestion dans les grands ports du monde. Stephan Marusczyk prévient toutefois les opérateurs : « Le Covid peut potentiellement encore perturber la chaîne logistique et il est impossible de faire des pronostics valables et fiables de la « nouvelle normalité » ». Une chose est certaine : « Les tarifs ne devraient pas retrouver les niveaux d’avant, tant ils n’étaient pas rentables ».
Enfin, si « 2022 est l’année la plus étrange des trente dernières années, où on gère nos activités désormais au jour le jour », comme le déplore Luca Sabatini, la World Bulk Wine Exhibition aura mis en lumière de nombreuses pistes de développement pour les vins en vrac. Entre les cannettes, qui ont suscité beaucoup d’intérêt pendant l’événement, les produits désalcoolisés et le potentiel offert par l’économie circulaire et le développement durable, le secteur du vrac ne se sera peut-être jamais autant inscrit dans l’air du temps.