es œnologues sont optimistes quant à leurs perspectives d'action face au changement climatique. Les corrections qu'ils peuvent faire en cave ont certes leurs limites, mais les chercheurs et les fabricants leur proposent des solutions de plus en plus adaptées. « Même si les consommateurs demandent que l'on emploie moins d'intrants, on peut encore produire des vins équilibrés malgré la hausse des degrés alcooliques et la baisse de l'acidité et du pH », soutient Anne-Elyse Montador, œnologue-conseil chez Euralis, dans le nord de la Gironde.
Dans le Languedoc, Jennifer Lévèque est aussi de cet avis, mais nuance ses propos. « Il est vrai que la gestion de l'acidité est de plus en plus compliquée », déplore cette œnologue-conseil de l'ICV.
Jennifer Lévèque est souvent amenée à la limite de la dose maximale réglementaire pour l'ajout d'acide tartrique dans les moûts et les vins, soit 4 g/hl. « Depuis cinq ans, l'ajout sur moût s'est généralisé puisqu'il affecte moins le vin final par la dureté de l'acide tartrique. Mais on en arrive à ne plus pouvoir corriger certains moûts par ajout d'acide car leur pH dépasse largement 4 », observe l'œnologue.
Jennifer Lévèque, œnologue au Groupe ICV (crédit photo DR)
Cette année, elle a testé une levure acidifiante pour les moûts. « C'est peut-être une solution d'avenir, à condition de l'assembler avec d'autres lots », note-t-elle. Dans sa région, l'acidification par électrodialyse commence à se développer dans les grandes caves ou négoces. « C'est une bonne solution au manque d'acidité, mais il faut que cette technique soit plus accessible aux petites caves, car elle reste encore trop coûteuse », indique-t-elle.
Pour Olivier Roustang, œnologue-conseil dans la vallée du Rhône, le manque d'acidité n'est pas le seul problème, son excès en est un également. « D'un côté, il y a des parcelles dont la maturité est bloquée à 12 % vol. avec 5 g/l d'acidité totale à cause de la sécheresse mais qu'il faut ramasser et, de l'autre côté, il y a les raisins flétris trop mûrs à plus de 15 % et moins de 2 g/l d'AT », observe-t-il. L'assemblage de telles parcelles serait-il la solution ? « Non, assembler du vin est beaucoup plus complexe qu'un simple mélange d'une matrice acide et moins acide », répond Olivier Roustang. « Aujourd'hui, ce n'est pas ce qui est pratiqué mais on se demande si on ne va pas y arriver », évoque Jennifer Lévèque. Pour l'œnologue rhodanien, la cofermentation de plusieurs cépages ensemble serait une potentielle solution. « Les anciens le faisaient déjà et on obtient des vins plus équilibrés en cofermentation qu'un assemblage de vins finis fermentés séparément », estime-t-il.Â
À Bordeaux, Anne-Elyse Montador n'est pas particulièrement inquiète de l'acidité des vins des domaines qu'elle conseille. « Nous sommes loin d'avoir besoin de la dose maximale d'acide tartrique. Pour l'instant, corriger l'acidité n'est pas un problème. La hausse de la teneur en alcool non plus », considère-t-elle.
En revanche, les bactéries lactiques posent plus de problème à l'œnologue d'Euralis, surtout sur ce millésime 2022. « Les pH hauts favorisent leur développement. Ce qui se passe cette année, c'est du jamais vu en matière de vitesse de FML et surtout de déviations. Je vois la maladie de la tourne revenir dans les chais alors qu'elle était très rare. J'ai l'impression que les bactéries lactiques sont moins sensibles au SO2. Heureusement, le chitosan est très efficace. Je pense que ce produit a de l'avenir en œnologie », souligne Anne-Elyse Montador.
Olivier Roustang dresse le même bilan : « Pour la première fois de ma carrière, j'ai eu cette année sept chapeaux qui sont partis en piqûre lactique. Je n'ai jamais vu de tels niveaux de bactéries lactiques naturellement. Il y en a plus de 10^6 cellules/ml dans certains moûts. La maîtrise des micro-organismes va être de plus en plus primordiale. » Lui aussi note l'intérêt du chitosan pour l'élimination des bactéries lactiques.
« Quand on voit la progression des non-Saccharomyces ces dernières années, on se dit que l'avenir est dans la microbiologie. Dans ce domaine, on est loin d'avoir tout compris. Un exemple : cette année, un moût à 15,5 % potentiel et à 60 mg/l d'azote assimilable a fermenté en levures indigènes sans aucun problème. C'est un mystère. Il faudrait que nous ayons plus de détails sur l'identité des acides aminés et lipides présents pour expliquer cela », décrit Anne-Elyse Montador. Les chercheurs en œnologique ont de longs millésimes devant eux avant de s'ennuyer.
Jennifer Lévèque constate un intérêt de la profession languedocienne pour la désalcoolisation, mais sans passage à l'acte. « Les caves posent des questions mais, finalement, les vins rouges concentrés, fruités et bien structurés et équilibrés se vendent, quel que soit le degré alcoolique. La désalcoolisation vise davantage à s'insérer dans de nouveaux marchés qu'à équilibrer les vins traditionnels », observe l’œnologue de l'ICV. Pour Olivier Roustang, l'assemblage est la solution la plus adaptée pour diluer une cuve trop alcooleuse.