omme dans beaucoup de d’autres régions, les vignerons du Gers n’ont pas oublié l’épisode de grêle du 16 août dernier. Situé légèrement plus au sud que celui de l’épisode de juin, le couloir orageux a impacté le vignoble de Nogaro à Condom sur environ 3 000 hectares, avec, par endroits, une destruction totale de la canopée et un palissage couché.
« Cet orage a apporté entre 20 et 30 mm d’eau à la vigne qui n’en avait pas ou peu eu depuis début juillet. Quelques jours après, la combinaison de la défoliation, d’un stress thermique estival et d’une contrainte hydrique forte a entrainé un phénomène rare et peu documenté sur ces parcelles : une reprise de végétation sur les bourgeons latents » rapportent Virginie Humbert, des entreprises Ladevèze, Manon Maurel, technicienne pour la coopérative Val de Gascogne, et Thierry Dufourcq, du pôle Sud-Ouest de l’Institut Français de la Vigne et du Vin, dans une note commune.
A ce stade du cycle, ce phénomène implique une levée de dormance, « habituellement le fait d’un cumul de température froide en début d’hiver, avec environ huit jours à moins de 8°C » explique ce dernier.
Ce débourrement des bourgeons latents a entrainé un nouveau cycle pour la vigne dès la fin août, favorisé par des températures très chaudes. « On a pu observer l’apparition rapide d’inflorescences et même des stades floraison dès le 15 septembre. Cela a débuté sur le haut des rameaux mais assez rapidement les bourgeons latents même bas sur la baguette ont présenté des écailles écartées au stade dans le coton » commente Thierry Dufourcq.
« Sur 2 parcelles de la cave suivies 18 jours après la grêle, 40 à 50 % des bourgeons latents avaient repris une activité, principalement dans le coton. Même les premiers yeux en partie basale du rameau sont sortis de leur dormance » relate Manon Maurel.


Thierry Dufourcq craint que ce phénomène exceptionnel détruise une partie du potentiel de la récolte 2023. « Les nouvelles poussent ne devraient pas résister à l’hiver, et, on peut penser que les parties allant des bourgeons dans le coton aux rameaux avec grappes seront détruites aux premières gelées ».
Lors de comptages réalisés fin septembre sur trois parcelles, Virginie Humbert a quant à elle estimé que le merlot n’avait plus que 36 % de bourgeons aptes à produire en 2023, et que le colombard et l’ugni-blanc présentaient une altération d’environ 25 % liée soit à la reprise d’activité physiologique du bourgeon latent soit à des impacts de la grêle.
Pendant leurs dernières visites sur toutes ces parcelles les 21 et 26 octobre, les techniciens on une nouvelle fois constaté développement du phénomène à la faveur des températures extrêmement douces. « La végétation continue de croître et les grappes formées sont entre grain de plomb et petit pois. Le nombre de bourgeons encore dormants est plus faible que lors des visites précédentes. Le mildiou et parfois l’oïdium refont une apparition y compris sur les grappes » rapporte le trio.
Selon les techniciens, les vignerons confrontés à cette situation doivent préserver les bourgeons restés en dormance. « Le feuillage et les grappes qui se développent fonctionnent cependant comme des organes « puits » pour le carbone et l’azote et entament les réserves de la vigne. Une taille anticipée est à exclure totalement car elle favorisera l’activité des bourgeons situés plus bas sur la baguette » estiment-ils.
Quand la température moyenne sera inférieure à 10°C, ils préconisent une pré-taille pour détruire rapidement les organes consommateurs de réserve. « Compte tenu de l’état des vignes grêlées et des impacts sur les bois de l’année, une taille transitoire en cordon est à envisager pour l’hiver 2022-2023 ».
Selon Laurent Torregrosa, professeur à l’Institut Agro de Montpellier, l’idéal aurait été de faire en sorte que les nouvelles pousses soient fonctionnelles le plus longtemps possible en les protégeant par exemple du mildiou d’automne avec du cuivre.
Et contrairement à Thierry Dufourcq, il pense que garder ces nouveaux organes le mieux à faire pour empêcher d’autres repousses à la base des rameaux par acrotonie. « C’est d’autant plus important que des températures hivernales clémentes pourraient faire redémarrer la vigne en cours d'hiver » explique-t-il.
Thierry Dufourcq précise que son discours tient pour le Gers. « Sur le pourtour méditerranéen une consigne d’attendre la toute fin d’hiver pour tailler ce type de parcelle est bien envisageable, mais chez nous, cela a moins de sens, les températures moyennes ayant déjà baissé en dessous de 10°C, et le fonctionnement physiologique de la vigne étant arrêté ».
Quoiqu'il en soit, au printemps prochain, les viticulteurs pourront aider leurs vignes à réserves entamées avec une fertilisation ponctuelle, de préférence foliaire.
Lorsque le feuillage sera plus développé, une fertilisation complète et équilibrée de quelques unités d’azote et potassium/ magnésium sera bienvenue. « Les apports d’entretien annuel sont à maintenir mais ne seront disponibles que bien plus tard lorsque les racines seront actives. Inutile de forcer la dose » conclut le trio.
Cet hiver, sur les vignes grêlées en août, il s’agira de bien observer l’état des rameaux et d’agir au cas par cas. « Cela signifie également de passer plus de temps à la taille et de bien encadrer les tailleurs » insiste Thierry Dufourcq.
Sur les parcelles avec une présence importante de bourgeons dans le coton sur la souche, le chercheur recommande de tailler à courson pour favoriser le bois plus que la production de raisins, « car tous les bourgeons cotonneux ne produiront pas de pousses directes au printemps ».
Inutile de laisser des yeux loin sur la baguette. « Ils prendraient la vigueur au détriment des yeux proches de la souche ».
Sur les parcelles ou souches aux bourgeons latents restés dormants, une taille à baguette est envisageable si les impacts de grêle sont peu marqués.
Laurent Torregrosa préconise par ailleur de tailler les vignes les plus touchées en dernier, au plus près de la date classique de débourrement.
« En taille longue, le mieux sera de garder deux ou trois coursons de rappel. Pas pour espérer plus de fruit cette année, compte tenu des faibles réserves carbonées, mais pour avoir du joli bois lors de la taille 2023/2024 » conseille-t-il.
Les vignerons devront par ailleurs faire attention à la casse au moment du pliage.