eci n’est pas une promesse de gascon. Prenant la présidence du Bureau National Interprofessionnel d’Armagnac (BNIA), le négociant Jérôme Delord se donne pour objectif de doubler d’ici 2025 les ventes de l’eau de vie gasconne pour atteindre 20 000 hectolitres d’alcool pur (hl AP), soit l’équivalent de 7 millions de bouteilles. Pour le négociant de Lannepax (Gers), l’eau-de-vie gasconne arrive à un tournant commercial qui doit être soutenu par une augmentation de la production. Pour l’assemblée générale du BNIA ce 28 octobre dans la maison du vignoble de Gascogne et d’Armagnac (à Eauze, Gers), ses deux mots clés sont logiquement distillation et dynamisme.
Avec 1 800 hectares revendiqués en AOC en 2021, « nous avons 5 000 hectares qui peuvent être affectés à l’Armagnac. L’objectif de doubler est atteignable » indique Olivier Goujon, le directeur général du BNIA. « Il faut redonner un coup de peps à l’Armagnac » souligne-t-il, confiant dans la capacité du vignoble à se mobiliser. Pour y arriver, le premier chantier de son mandat est le calcul « du coût de revient : je veux qu’une fois pour toute on sache combien coûte un hectare de vigne, une vinification… Que l’on sorte du débat » indique Jérôme Delord. Son deuxième chantier est la réserve climatique : « je pense que c’est une clé pour rassurer les producteurs, les marchés, de se dire que sur un hectare on puisse sortir les 12 hl AP. C’est un gros chantier. »
Deux chantiers issus du plan Armagnac 2030, dont les sept axes de travaux* ont été établis sous la présidence précédente, celle du viticulteur Patrick Farbos (président des Hauts de Montrouge, la cave coopérative de Nogaro qui est le premier metteur en marché d’Armagnac en France). Regrettant que les actions de ses trois années de mandat aient été amputés par la crise covid, l’ex-président du BNIA relève parmi les avancées à son bilan l’ouverture de la maison du vignoble de Gascogne et d’Armagnac (« un projet de 34 ans »), la mise en place de chartes avec les départements de l’AOC (Gers, Landes et Lot-et-Garonne), la reconnaissance pour les AOC Armagnac et Floc de Gascogne du statut spécialisé pour leurs Organismes de Défense et de Gestion (ODG), la promotion des cocktails à base d’Armagnac en toute occasion (« je n’ai pas trouvé une personne qui ne les aime pas ! ») et le travail sur le recouvrement des Cotisations Volontaires Obligatoire (CVO, voir encadré).
Alors que les petites vendanges s’enchaînent, le viticulteur souligne cependant que « l’avenir de notre appellation Armagnac est directement dépendant de dame Nature. Cette année, elle ne nous a pas épargné : gel, grêle et même sécheresse. » Soulignant la résilience du vignoble, Patrick Farbos mise sur l’avenir : « l’Armagnac a plus de 700 ans et il ne faut pas vivre à l’ancien temps. Nous passons avec de nouvelles générations. Il est à souhaiter que les jeunes [délaissent les] alcools blancs (si vous permettez, quand on me parle de gin, je dis que je l’utilise pour m’habiller). »


« Nous avons de la chance, l’Armagnac est à la mode et attire de nouveaux consommateurs, avec de nouveaux modes de consommations » souligne Jérôme Delord, qui voit un grand avenir à la filière armagnacaise. Ayant rejoint il y a vingt ans l’entreprise familiale (60 hectares de vignes en propriété, avec des achats complémentaires), le négociant aime raconter que son retour n’allait pas de soi. Après de premiers postes dans les bières (Fischer) et les boissons sans alcool (Schweppes), son souhait d’être la troisième génération impliquée dans la maison Delord n’a pas plu à son père : « il m’a dit que c’était dur, que l’Armagnac était une galère [mais depuis] je vis un rêve éveillé ». Désormais, Jérôme Delord se réjouit de voir une nouvelle génération s’installer dans le vignoble et partager sa joie de distiller sur les réseaux sociaux pour communiquer sur « la magie de la distillation ». Prônant un travail acharné, Jérôme Delord pointe qu’il n’y a pas un marché saturé pour l’Armagnac. Pour le coup, ce n’est pas une offre de gascon.
* : Ces sept priorités stratégiques sont la création de l’observatoire Armagnac amont-aval (avec un business plan), le travail sur l’attractivité (y compris d’autres métiers de la filière), une communication sur l’imaginaire de l’Armagnac (avec une plateforme de marques), le développement de pratiques durables (avec l’adaptation au changement climatique), l’alimentation d’un centre d’interprétation (alimenté par les archives redécouvertes avec le récent changement de siège social), la création d’une destination spiritourisme (avec un label dédié) et la refonte de la gouvernance de la filière (avec des référents territoriaux).
Dans ses comptes, le BNIA affiche 350 000 euros des créances clients, en hausse de 150 000 € : lié à des paiements plus tardifs esquisse l’expert-comptable Jérôme Lasfargue. « Aujourd’hui le recouvrement des CVO est basé sur une déclaration volontaire des obligés. Ce qui [explique] en ce moment des défaillances à la fois sur les montants déclarés et les dates de déclaration » ajoute le commissaire aux comptes Patrice Laborde, évoquant « un risque sur les comptes du BNIA » et préconisant « de modifier les procédures de recouvrement, en lien avec les Déclarations Récapitulatives Mensuelles (DRM), éventuellement avec des sanctions ».
« Il y a trop de décalage entre les sorties de marché et les CVO perçues » Olivier Goujon, « il faut s’attacher à rendre cohérent les chiffres de marché en forte progression (+24 % à l’export, avec 1,57 million de cols en 2021, et +6 % en France, avec 1,16 million cols) et les cotisations d’Armagnac pour cet exercice en simple hausse de 1,2 % (pour 561 216 € en 2021-2022). Nous prenons le risque de ne pas être là au bon moment financièrement et dans le choix des actions préconisées. Il est donc important de positionner ce sujet dès que possible en passant par la dématérialisation de nos revendications interprofessionnelles. »