our obtenir des vins concentrés et soyeux, des vignerons pratiquent des cuvaisons longues en laissant infuser le marc. C'est le cas d'Anthony Charvet, vigneron à Chiroubles dans le Beaujolais sur 4 ha de gamay. Traditionnellement dans sa région, les macérations durent entre 8 et 10 jours. Mais Anthony Charvet laisse macérer ses premières cuvées au moins 20 jours et ses hauts de gamme 30 à 45 jours. Il élabore même une cuvée qui macère plus de 200 jours dans un kvevri (jarre de 500 l en terre cuite georgienne).
« En pratiquant des macérations longues avec peu d'intervention, j'obtiens des vins fins, longs en bouche et peu chargés en tanins », indique Anthony Charvet qui valorise ses Chiroubles, Fleurie et Morgon classiques 10 à 11 ? le col contre 16 ? pour son Chiroubles qui a macéré 30 jours, 19 ? pour son Morgon de 45 jours et 32 ? pour son Chiroubles qui a fermenté en Kvevri
Anthony Charvet récolte ses gamays à la main à maturité phénolique en veillant à bien trier les raisins. « Je les ramasse dans la matinée pour avoir une vendange proche des 20 °C pour avoir ni à chauffer, ni à refroidir ». Ce vigneron travaille en petit volume avec des cuves à plafond mobile de 10 hl pour ses cuvaisons de 30 à 45 jours et des cuves béton de 70 hl pour ses vins traditionnels. « Comme les cuves sont petites, la température monte peu lors de la fermentation alcoolique », commente-t-il.
Anthony Charvet ramasse d'abord les raisins destinés à ses cuvées traditionnelles (macération de 20 jours). Il récolte ensuite les raisins destinés aux macérations plus longues qu'il égrappe à 100 % et encuve sans sulfitage, après avoir saturé la cuve en gaz carbonique des premières fermentations et ajouté du jus en fermentation en guise de pied de cuve. La première semaine, il remonte 2 à 3 fois et pendant 10 jours, il pige tous les 2 à 3 jours. « L'idée est d'y aller doucement pour ne pas extraire les tanins et bien laisser infuser. Au bout de trois semaines, je n'y touche quasiment plus ».
Anthony Charvet (crédit photo DR)
Une fois la fermentation terminée, il ferme le plafond mobile. Après 30 ou 45 jours de cuvaison, il presse les raisins. Si la malo est terminée, il sulfite. Sinon, il attend qu'elle s'enclenche. « Je n'ai pas de déviation lors des cuvaisons longues. Je déguste les jus tous les jours mais je ne surveille pas ces cuves plus que les autres ».
En Bourgogne, le pinot noir se plie aussi aux cuvaisons longues. « C'est un cépage avec de la structure, riche en polyphénols. L'idée est de bénéficier du contact jus/marc pour amorcer le vieillissement et obtenir une polymérisation des tanins, explique Jean-Marc Vincent, vigneron à Santenay et Auxey-Duresses sur 7 ha qui réalise des cuvaisons de trois semaines à un mois. Mais cela impose d'avoir des raisins sains et à maturité élevée avec des pépins bien bruns et des peaux mures ». Tous les millésimes ne s'y prêtent donc pas.
Jean-Marc Vincent travaille avec 50 à 70 % de grappes entières. Il vinifie sans soufre en levures indigènes dans des cuves de 10 à 20 hl dotées d'un plafond mobile et assez larges « pour que le chapeau ne soit pas trop épais ».
Pour que la fermentation ne démarre pas en « trombe », il refroidit les raisins si nécessaire. « J'essaye de ne pas démarrer au-delà de 14 à 15 °C. Ensuite, je règle la consigne de température entre 25 et 30 °C. Quand on travaille sur la durée, il ne faut pas de choc thermique ». L'extraction se déroule en douceur. « J'interviens très peu. Durant toute la cuvaison je ne fais que 4 à 5 pigeages pour bousculer les circuits préférentiels du jus et un petit remontage par jour ou tous les deux jours ».
Les dix derniers jours de macération, Jean-Marc Vincent contrôle régulièrement les sucres pour vérifier qu'ils se terminent bien et au besoin il ensemence avec des bayanus. « Mais c'est rare même avec des degrés de plus de 14 ». Il vérifie également que la malo ne s'enclenche pas car il souhaite qu'elle se déroule en fût et non sous marc. En travaillant de cette manière, il obtient des vins très soyeux qui se dégustent après 5 à 7 ans de vieillissement.
Le domaine Maréchal à Bligny lès Beaune (12,5 ha dont 11 de rouge) pratique depuis longtemps des cuvaisons de 4 à 5 semaines. Il érafle les raisins puis les met en cuve béton en abaissant la température à 10 °C pour une macération préfermentaire à froid qui permet une dépectinisation . « On enfonce le chapeau de manière à ce qu'il y ait juste un peu de jus en surface et nous posons dessus un petit bac contenant du SO2 pour obtenir un léger nuage de protection au dessus de la cuve et nous bâchons. Au bout d'une dizaine de jours, la fermentation s'enclenche spontanément et nous retirons le bac", détaillent Claude et Antoine Maréchal.
«Alors qu'habituellement nous laissons le chapeau flottant, l'an passé nous mis des claies dès le début de la fermentation pour que celui-ci reste immergé dans le jus. Nous les avons retirées à mi-fermentation. Ensuite une fois la barre des 1050 de densité passée, nous avons envoyé de l'air dans la cuve à l'aide d'un compresseur pour que le chapeau se disloque complètement. Nous avons obtenu des vins sphériques, tendres et fins. Est-ce lié à « l'infusion » ou aux caractéristiques du millésime 2021 pour le moment, nous ne pouvons pas le dire ».
A la Lacapelle-Cabanac dans l'appellation Cahors, Catherine Maisonneuve vinifie le malbec comme le pinot noir plutôt que comme le cabernet sauvignon. C'est-à-dire avec des extractions douces plutôt qu'énergiques. « On cherche des vins fins et veloutés », explique la copropriétaire du domaine Cosse-Maisonneuve. Pour cela, elle laisse cuver jusqu'à cinq à six semaines ses hauts de gamme que sont les cuvées Les Laquets et Marguerite.
« Ce n'est pas parce qu'on cuve longtemps qu'on perd de la finesse. Au contraire, si on décuve trop tôt, on n'a pas le velouté, pas la finale que l'on aurait pu avoir », justifie Catherine Maisonneuve. Mais cela ne marche qu'à deux conditions : avoir un raisin parfaitement mûr et sain puis extraire en douceur. Pour s'assurer de la maturité, Catherine Maisonneuve déguste les baies, s'intéressant particulièrement aux peaux. « En les goûtant, on sait la densité qu'on va avoir, si on va pouvoir extraire ou pas », dit-elle. Quand on lui demande si elle vise un degré alcoolique minimum, elle répond qu'il n'y a pas de règle.
Les raisins rentrent à la fraîche pour que les fermentations démarrent en douceur. La cave est équipée de cuves en béton de 25, 50 et 90 hl. Ici pas de délestage, que des remontages à la pompe péristaltique, abondants au départ pour aérer les levures puis se réduisant au minimum, une fois la fermentation alcoolique terminée. Pour faire ce travail qu'elle considère essentiel, Catherine Maisonneuve monte tous les jours sur ses cuves, son tuyau de 40 mm en main. « J'aime bien voir ce que je fais. J'arrose avec un jet tranquille, au début pendant dix minutes pour une cuve de 50 hl et à la fin pendant 3 minutes, partout comme il faut. ». Un traitement qui ne convient pas forcément à tous les raisins.
« On avait un complexe d’infériorité. Aujourd’hui, le pari est réussi : à Fronton, on vend des cuvées haut de gamme entre 15 et 20 € », se félicite Benjamin Piccoli, directeur du syndicat de cette appellation forte de 40 vignerons et de 1 200 ha. Pour faire connaître les meilleures cuvées de son cru, le syndicat crée le Collectif Négrette en 2021. Dix vignerons l’intègrent. Tous doivent s’acquitter d’une cotisation de 1 000 € qui abonde le budget de 30 000 € que le syndicat dégage pour communiquer sur les vins du collectif. De leur côté, les membres se réunissent tous les mois pour déguster leurs vins et des vins d’autres appellations sur le même créneau de prix et s’échanger des tuyaux. Pour se revendiquer du Collectif Négrette, les vignerons doivent être dans une démarche environnementale (Bio, en conversion bio, HVE). Quant à leurs vins, ils doivent contenir au moins 70 % de négrette, provenir de parcelles dont le rendement ne dépasse pas 35 hl/ha et avoir subi au moins 14 mois d’élevage.