eune, dynamique, le regard un tantinet espiègle, Clément Piquet est un sérial entrepreneur. A peine terminé son master en affaires et en gestion internationales, il s’envole pour la Chine et crée en 2012 à Hong Kong la société French Delight pour importer, distribuer et valoriser des vins français élaborés par des vignerons indépendants. Trois ans plus tard, il fonde Nemeton à Yantai en Chine continentale nouant, dans la foulée, des partenariats avec chaînes d’hôtel et autres restaurants, dont le célèbre étoilé Michelin Mr & Mrs Bund à Shanghai.
Mais le Covid est passé par là et le marché ne connaît plus le boom qui avait attiré les exportateurs du monde entier. « Avant le coronavirus, il y avait plus de 20 000 Français à Shanghai. Il n’en reste plus actuellement que 5 000 », précise-t-il. Le chef cuisinier Paul Pairet fait partie des expatriés qui sont rentrés chez eux. « On a tous été impactés par les mesures drastiques prises par le gouvernement chinois », note Clément Piquet, qui ouvrira prochainement une vinothèque à Compiègne.
De là à penser qu’il délaisse le marché chinois, il n’y a qu’un pas. Mais cette idée ne lui traverse nullement l’esprit. Tout en reconnaissant qu’il y a « une certaine saturation du marché en Chine continentale, du moins pour les produits de luxe », il estime que la baisse des ventes n’est que conjoncturelle. « Le Covid n’a pas impacté la perception du vin par les Chinois, mais plutôt leur vision monétaire. Avant, les gens très aisés stockaient et consommaient énormément de vin. Actuellement, pour cause de différents enjeux personnels, de développement d’entreprise et d’incertitudes liées au gouvernement, il y a moins de consommation et moins de risques pris par les investisseurs ».
Et de constater : « J’ai des clients qui sont totalement à l’arrêt sur des projets immobiliers, par exemple, et ils n’auront pas forcément intérêt à investir sur le vin en ce moment. Il y a cette peur de ne pas connaître le lendemain, mais cette peur est conjoncturelle. Ma vision personnelle, c’est que dans un an et demi à deux ans, on reviendra à la normale. Je n’y crois pas pour cette année ». En effet, si Hong Kong « reste très intéressant » pour le vin, force est de constater « un blocage des achats depuis deux ou trois mois. Le marché est toujours en surstock. Depuis deux mois on constate beaucoup moins de vente pour le grand export Asie. C’est inquiétant. La reprise n’aura pas lieu avant la mi-août mais on espère quand même avoir une rentrée plus intéressante ».
Entretenant ses relations avec ses clients quotidiennement depuis la France grâce à WeChat, Clément Piquet estime que les fondamentaux du marché chinois sont bien plus positifs qu’il y a quelques années. « La mentalité chinoise vis-à-vis de la consommation de vin a énormément évolué. Aujourd’hui on a de vrais amateurs. On commence à avoir des DipWSET qui ont des connaissances très poussées sur le vin ». S’il déplore les freins toujours imposés par le gouvernement chinois sur les activités du WSET, l’importateur prévoit la poursuite de ce processus d’apprentissage. Il souligne, par ailleurs, la montée en puissance d’autres villes que celles de premier plan comme autant de possibilités de développer le marché du vin.
« Pour prendre l’exemple de Rizhao, c’était un petit village quand je l’ai connu au début. Maintenant c’est une grande ville de la taille de Yantai avec des buildings, un bord de mer exceptionnel et beaucoup de palaces qui se sont ouverts ». Estimant que les villes tertiaires représentent la clé du marché chinois, il ne néglige pas pour autant les métropoles : « Les grandes villes représentent un moyen de tester son potentiel et sa légitimité au sein de la Chine. Si on arrive à vendre à Pékin et à Shanghai, on arrive bien évidemment à vendre dans les plus petites villes ».
L’intérêt de ces villes grandissantes réside également dans la gastronomie. Si on a longtemps considéré que la gastronomie chinoise ne s’apprêtait pas aux alliances mets et vins du fait de la structure des repas, Clément Piquet rejette cette hypothèse : « Les villes qui sont exceptionnelles pour le vin sont celles qui le sont aussi pour la gastronomie. Chengdu par exemple est une ville où la gastronomie est extrêmement importante. Il y a aussi Ningbo, où on retrouve des gens qui apprécient le vin pour le vin, mais qui font également une gastronomie exceptionnelle. Le concept d’alliances mets et vins est tout à fait parlant pour les Chinois ». Même si le Covid a mis à mal le secteur de la restauration, l’importateur estime que « la restauration reste un point clé, d’autant plus que l’échelle des villes en Chine est très importante. Yantai est une ville comme Marseille par exemple. De plus, en Chine il y a beaucoup de restaurants avec 200 ou 300 couverts ».
Enfin, la croissance exponentielle de l’urbanisme en Chine reflète la vitesse à laquelle sa société fonctionne, et oblige les opérateurs à être constamment sur le qui-vive. Du tout Bordeaux, le marché est passé aux vins de Bourgogne, du Rhône et autres cuvées du Nouveau Monde, la clé d’entrée passant souvent par la porte du cépage, bien plus évocateur pour les Chinois. « Il faut vraiment qu’on repense notre marketing du vin pour le marché chinois, sauf pour les vins les plus connus », martèle Clément Piquet, pour qui ce constat vaut également pour le Japon et Singapour. Il insiste également sur le rôle de précurseur joué par Hong Kong – « quand quelque chose arrive à Hong Kong, elle arrive un mois plus tard en Chine » - ainsi que sur la place de « marché refuge » occupée par Taiwan. Et conseille aux opérateurs d’élargir leur champ de vision : « Pour moi, le Vietnam, c’est la Chine d’il y a 10 ou 15 ans. Le Cambodge est intéressant aussi. Allez voir les nouveaux marchés porteurs ».