Il faut tout expliquer. Notre appellation, nos pinots, nos cépages, notre histoire, notre culture. Nos vins ne sont pas connus en dehors de l’Italie », pose Cristina Cerri Comi, cinquième génération aux commandes du domaine Travaglino dans l’Oltrepò Pavese, région au sud du Po, entre Milan et Gênes. Sa magnifique propriété, posée à flanc de collines à 70 km plein sud de Milan, compte 400 ha d’un seul tenant, dont 80 de vignes. Dans sa cave aux équipements modernes, c’est l’effervescence en ce 28 septembre 2021, dernier jour de vendange du cépage tardif croatina.
Lorsqu’elle raconte son histoire, Cristina Cerri Comi dit qu’elle est une start-up vieille de 150 ans. En effet, elle a tout développé depuis qu’elle a repris le domaine en 2013. « Nous avons fait de nombreux investissements pour amener Travaglino vers le futur. Maintenant, le domaine doit se vivre comme une entreprise. » En 2020, elle a produit 180 000 bouteilles, dont 30 % d’effervescent en méthode traditionnelle. Sa gamme est qualitative et résolument moderne. Elle cherche à exporter ses vins en France, entre autres.
Pour la sommelière Florence Reydellet, une Française habitant à Milan : « le terroir d’Oltrepò Pavese a un énorme potentiel, mais il est désorganisé. Ici, il y a une tradition de vente en vrac aux Milanais, qui ne poussait pas les producteurs à faire de la qualité. Jusqu’à présent, les vignerons gagnaient leur vie ainsi ».
La Comtesse Ottavia Giorgi Di Vistarino, du superbe domaine Conté Vistarino, situé à 10 km du domaine Travaglino, confirme : « jusque dans les années 2000, nous ne vendions qu’en vrac. Les clients faisaient la queue avec leur dame-jeanne pour venir acheter. Tout s’écoulait tout seul. La vente en bouteilles est arrivée après. Elle se développe ; la qualité aussi. On ne peut plus faire comme nos parents ».
Désorganisé et compliqué. Dans cette région méconnue, aux douces collines, la vigne est un héritage, le vin, une culture. Oltrepò Pavese, le premier vignoble de Lombardie, compte 13 000 ha de vigne plantés principalement entre 200 et 300 m d’altitude. Sous la DOC Oltrepò Pavese, les vignerons produisent toutes sortes de vins secs ou doux, tranquilles ou effervescents, frizzante ou spumante, avec ou sans mention du cépage. Ils produisent aussi des effervescents méthode traditionnelle sous la même dénomination Oltrepò Pavese, mais dans le niveau hiérarchique DOCG. Difficile de s’y retrouver.
Parmi les 225 cépages recensés, le pinot noir est une fierté. « Nous sommes le troisième producteur de pinot noir au monde après la Champagne et la Bourgogne », précise Carlo Veronese, le directeur du consortium de tutelle de l’Oltrepò Pavese, l’équivalent de nos interprofessions. Les autres cépages stars sont le riesling renano, le barbera et le croatina, qui sert à produire le Bonarda dell’oltrepò pavese.
Vers une démarche plus qualitative...Comme Cristina Cerri Comi et Ottavia Giorgi Di Vistarino, ils sont nombreux à avoir remonté leurs manches pour produire des vins qualitatifs. Au domaine Ca’di Frara de 45 ha, l’attention a toujours porté sur l’adéquation entre sols et cépages. Sur les marnes, le pinot noir et le chardonnay. Sur les calcaires, riesling renano, pinot blanc et pinot gris dont « un clone de l’Alsace que nous avons ramené avec mon mari, il y a plus de trente ans », raconte dans un français parfait, Daniela, la mère du vigneron Luca Bellani, qui officie à présent. Mais aujourd’hui, il faut aussi savoir vendre. Or, Luca Bellani ne sait pas dire combien il a de références. « Certainement trop », se contente-t-il de répondre. Il ne souhaite pas non plus parler de ses ventes. Ce qui l’anime définitivement, ce sont ses vignes plantées à 7 000 pieds/ha et faire déguster ses quilles, comme sa méthode classique Oltrepò Pavese 100 % pinot noir, élevé 34 mois sur lattes (18 €).
À l’extrême nord-ouest de l’appellation, à Mondonico, Gilda Fugazza, présidente du consortium et cinquième génération de vigneronne sur son domaine produit, sur 100 ha, des vins vendus en vrac aux gros embouteilleurs de la région. « Nous nous trouvons dans une période difficile, admet-elle. Mais nous sommes habitués à travailler dur et nous n’avons pas le temps de pleurer. » Un de ses défis est le développement durable, dossier sur lequel elle souhaite mobiliser tout le monde. Elle constate que beaucoup de vignerons y travaillent déjà. Comme Camillo et Filippo Dal Verme de la ferme Torre Degli Alberi. En 2012, pour prévenir du changement climatique, ils ont planté 4 ha de pinot noir au total à 500 mètres d’altitude, qu’ils cultivent en bio. Leur gamme compte trois vins, uniquement des effervescents en méthode traditionnelle, vendus 18 €. Parallèlement, les deux frères perpétuent la polyculture. Avec cinquante vaches limousine et 50 000 poulets pour la reproduction. « Ces deux élevages enrichissent nos sols », constate Filippo.
Reste à l’Oltrepò Pavese à se faire connaître. Pietro Frecciarossa, 20 ans, le sait : « Nous avons un besoin urgent de donner plus de valeur à nos vins, dit-il. Pour cela, nous devons nous unir. » Une nécessité !
Point de féminisme. Juste un constat : dans l’Oltrepò Pavese, les femmes sont nombreuses à diriger des domaines. À commencer par la présidente du consortium, Gilda Fugazza. Certaines sont issues de la noblesse comme Ottavia Giorgi Di Vistarino. D’autres dirigent des exploitations familiales comme Cristina Scarani, qui vinifie au domaine Ca’ Montebello, quand son frère Alberto « nettoie la cave ou exporte », comme il s’amuse à le raconter. Selon le Cribis-Crif (société italienne de crédit), les femmes dirigent un tiers des domaines viticoles italiens. Une sur quatre a moins de 35 ans. « J’appartiens à une association de 900 femmes du vin. Nous sommes en train de nous battre pour que le vin soit enseigné dans les écoles de tourisme et d’hôtellerie », raconte Giovannella Fugazza du Castello di Luzzano. Leur objectif : poursuivre la formation et la valorisation du rôle des femmes dans la filière vin.