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Les femmes racontent le sexisme de la filière vin
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Entendre leurs voix
Les femmes racontent le sexisme de la filière vin

Mixité, parité, égalité. Un triptyque souvent désiré mais jamais atteint. Si dans la filière vigne et vin, il y a des efforts, des comportements subsistent. Les voix des femmes s’élèvent en même temps que la parole se libère.
Par Laurie Andrès Le 04 mai 2021
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Les femmes racontent le sexisme de la filière vin
Marie-Ève Lacasse, écrivaine et journaliste, a crée en 2020 le podcast « Filles de Vigne » diffusé par Radio Vino. - crédit photo : Filles de Vigne - Facebook
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st-ce l'effet des confinements successifs et l’impression d’être dans un gigantesque tunnel sans fin ? Ou a t-on finalement décidé de prendre la foreuse pour en finir avec ce fichu « plafond de verre » ? Dans un récent sondage opéré par le label « Vignerons Engagés », label de Responsabilité Sociétale des Entreprises de la filière dirigé par Iris Borrut, 76 % des participant(e)s ont estimé que la parité était un sujet de société à prendre en compte. La féminisation des métiers du vin, dont découle directement la parité, occupe tous les écrans, faute de pouvoir se retrouver « en vrai ». Loin d'être un sujet nouveau, cette question reprend de la vigueur autour de conférences sur les applications « Zoom » et « Teams » où l’on parle plus de déboires que l'on échange de chiffres.

Parce qu’en réalité, des chiffres, il y en a peu. Au mieux, des quotas qui montrent que les jeunes sommelières récemment diplômées représentent 50 % de leur promotion. Plus visible, l’index d’égalité femmes-hommes (une note sur 100), obligatoire pour les entreprises d’au moins de 50 salariés depuis le 1er mars 2020 (depuis 2019 pour les entreprises d’au moins 1000 salariés) qui doit être calculé puis publié avant le premir er mai sur le site internet des structures concernées. À titre d’exemple, la maison de champagne Moët & Chandon (groupe LVMH) affiche un score de 87/100. Mais peut-on vraiment s’en réjouir ?

Il ne faut pas confondre égalité et parité

Lors du troisième atelier en ligne du label Vignerons Engagés, intitulé « La parité H/F, nouveau levier de performance pour la filière vin ? », Alexia Anglade, fondatrice de l’agence en coaching Lumières s’il vous plaît, et créatrice du programme « Parity Makers », était invitée autour d’autres femmes de la filière (journaliste, vigneronne, blogueuse…) pour apporter son éclairage. Avec beaucoup de pédagogie, elle est revenue sur ces termes qu’on utilise souvent comme fourre-tout : « Il ne faut pas confondre égalité et parité, l’égalité est une composante de la parité, la parité étant le but ultime. La mixité est aussi un élément faisant partie de la parité. »

Selon les dernières statistiques de la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), en 2020, 12 700 femmes étaient à la tête d’exploitations viticoles. Si globalement 1 femme sur 4 est cheffe, la MSA alerte sur « une proportion globalement stable depuis plus de dix ans », ajoutant « les femmes salariées ont des conditions d’emploi plus précaires, le recours au contrat à durée déterminée (CDD) occupe une place prépondérante dans l’emploi féminin de la production agricole ».

Aux racines

Mais plus que des chiffres, il y a en 2021, des comportements qui subsistent.

Et c’est bien là que le combat semble être le plus ardu.

Ségolène Lefèvre, auteure du livre Les femmes et l’amour du vin (Editions Feret, 2017), explique qu’au début des années 1970, les femmes tout juste autorisées à ouvrir les portes des chais, se sont retrouvées face à des hommes condescendants (« si ça les amuse ! Ce n’est pas un travail de femme, on verra combien de temps elles tiennent »), voire violents pour certains d’entre eux (qui n’hésitaient pas à couper des pieds de vignes, des raisins quand ce n’était pas purement et simplement  un saccage du matériel). Des comportements qui trouvent leurs origines dans une sphère rationnelle (les travaux de la vigne sont trop physiques pour les femmes, donc le vin n’est pas fait pour elles) mais aussi irrationnelle. « Les Anciens croyaient dur comme fer qu’un sang chassait l’autre, ils interdirent donc à leurs femmes de boire du sang étranger », un mythe qui associe le cycle menstruel féminin et le vin, sang de la vigne.

Autant dire qu’à l’heure de la génération « me too », de combats portés par des générations investies, où les visages de Simone Veil et Gisèle Halimi sont brandis en signe de résistance, où les violences faites aux femmes se racontent enfin, ces mythes infondés auraient vite été mis à terre.

Sexisme ordinaire

Ce qui fait légion dans nos sociétés contemporaines, mais aussi dans la sphère du vin, ce sont les comportements qui nourrissent le sentiment d’imposture et forcent les femmes à faire entendre leur voix.

C’est ainsi qu’une caricature a enflammée le web, pas plus tard qu’en 2020, dans le magazine En Magnum, édité par Bettane et Desseauve. Titrée, « Le Covid oblige à de nouveaux stratagèmes », le dessin mettait en scène une jeune caviste proposant des faveurs sexuelles à un caviste. « À la commande d’une palette j’enlève le haut, et à la commande d’un container… », un dessin de mauvais goût, du « sexisme crasse et idiot », selon Sandrine Goeyvaerts, journaliste et caviste, féministe de la première heure. Fleur Godart, auteure du livre Pur Jus (éditions Marabout), à la tête de sa propre agence Vins et Volailles qui distribue des vins nature, s’est sentie directement identifiée et a porté plainte avec Sandrine Goeyvaerts pour injures publiques, sexistes et diffamation suite aux nombreuses menaces qu’elles ont reçues des intéressés.

Mais il y a bien d’autres histoires qui mériteraient d’être racontées, tant elles paraissent anachroniques au XXIème siècle. 

Manque de diversité

Justine Gravé, journaliste en charge des rubriques oenologie et équipements de caves pour le média Réussir Vigne, en a fait les frais. « Même si ce n’est pas récurrent, je me suis retrouvée face à des hommes qui ont refusé avec dédain mon analyse de dégustation et je me suis retrouvée à déguster seule. » Outre ces comportements encore trop visibles, « il y a aussi un risque par ce manque de diversité dans les prescripteurs pour la filière vin à une certaine standardisation du discours » ajoute Justine Gravé.

Quand ce n’est pas sur la légitimité, c’est sur le potentiel sensuel que l’on mise. Emeline Favre, vice-présidente d’un événement festif en Bourgogne, en 2018, raconte, assez décontenancée, comment un média présent sur place a voulu traiter l’évènement : « Il fallait des photos qui "changent". On m’a demandé de me mettre en maillot de bain sur un parterre de fleurs, épaules dénudées, de sortir la jambe, avec en prime le titre de "Miss Saint-Véran" ». Ce qui peut paraître être des cas isolés n’est en fait qu’une traduction de ce que l’on a souvent tu pendant des années.

Dans son dernier livre Vigneronne (éditions Grasset), Laure Gasparotto, journaliste vin au Monde, raconte comment elle a dû (c’était en 2016) justifier de son métier de vigneronne alors qu’elle vendait ses bouteilles  : « de nombreux hommes se sont arrêtés à mon stand, uniquement pour sonder mes qualités de vigneronne, l’un d’eux m’a demandé de lui montrer mes mains pour en contrôler la véracité […] mais demande t-on à un vigneron de montrer ses mains ? ».

Dénoncer pour se faire entendre

Le sexisme ordinaire trouve sa boite de résonance dans des habitudes et des comportements masculins récurrents. Et aujourd’hui, on sait leur donner des noms. « Mansplaining », (l’anglicisme mansplaining consiste pour un homme à expliquer quelque chose à une femme en supposant d’emblée qu’il est le détenteur du savoir et qu’elle est ignorante), « Manterrupting », contraction de man (homme) et interrupting (interrompre), comportement consistant pour un homme à couper la parole à une femme lors de discussions ou de débats en raison du genre de son interlocutrice, en passant par les injonctions à la virilité (les hommes sont forts et courageux, les femmes sont douces et bienveillantes), poussent les femmes, partout à se regrouper, pour raconter leurs parcours, mener des actions et faire exister la cause féministe.

Dans la sphère du vin, on ne compte plus les associations qui portent la parole des femmes du vin. (Les Aliénor, Women Do Wine, Ladies Wine…)

Sur les réseaux, le compte Instagram « Paye Ton Pinard », qui comptait à ses débuts 700 abonnés, qui franchit aujourd’hui la barre des 2 500 abonnés, relate, sous couvert d’anonymat, les déboires de femmes (toutes professions et responsabilités confondues) dans la filière par des pastilles explicites. « Obligation de faire la bise au patron », harcèlement moral, remarques sexistes, tout y passe. Et force est de constater qu’en 2021, tout ne va pas bien dans le monde du vin.

Filles de Vignes

Dans l’univers des podcasts, « Filles de Vigne » lancé en 2020 par Marie-Ève Lacasse, écrivaine et journaliste, voix de Radio Vino, et Laurent Le Coustumer, donne le ton, avec un objectif : donner la paroles aux femmes qui ne bénéficient pas d’une reconnaissance à la hauteur de leurs confrères masculins. « 40 % des professionnels du vin sont des femmes » et « nous faisons des podcasts pour en parler », peut-on lire sur le site des écoutes audio. La messe est dite.

Et puisque les dénonciations ne sont pas uniquement sur les réseaux et les ondes, Isabelle Perraud, vigneronne au domaine des Côtes de la Molière, dans le Beaujolais, lassée d’user de son clavier a décider de dénoncer les clichés sexistes encore trop présents sur les étiquettes de vins nature. Elle a ainsi imaginé avec la complicité de Silène Audibert, illustratrice, artiste plasticienne à Lyon, une étiquette « couillue » avec un message « Balance ta bulle » - cette étiquette fait écho à la BD éponyme (Diane Noomin, Massot Editions) sortie en 2019 où 62 dessinatrices témoignent de la violence et du harcèlement sexuel - apposée sur un pet’nat de sa production.

« On a voulu faire référence à l’enlèvement des Sabines, (épisode fondateur et mythique de la Rome antique) et un retournement de situation ! Des femmes qui prennent le pouvoir et enlèvent les hommes ! »

Fort heureusement, ces discours ne sont pas vains, et avec les nouvelles générations aux commandes, ces agissements tendent à disparaître.

Dominique Hutin, journaliste et chroniqueur vin à France Inter dans l’émission dominicale de François-Regis Gaudry « On va déguster », dans un billet au ton humoristique pour la revue Le Vin Ligérien, exprime cette tendance : « maintenant qu’elles sont courtisées, qu’elles consomment au large des clichés, que le langage du vin se détend et ne s’adresse plus qu’à des castes de "sachant" à moustaches, les guêpes, pas folles, trouveront dorénavant naturel de pouvoir s’adresser à des femmes cavistes, sommelières, vigneronnes… ».

Ce 4 mai, Fleur Godart, défendue par maître, Eric Morain, se retrouvera devant la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de Paris et usera à nouveau de sa voix.

 


 

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Tous les commentaires (3)
Louchez Le 05 mai 2021 à 14:48:14
Bonjour je vous signale que depuis 3 ans désormais nous organisons un salon de vigneronnes en nature qui s'appelle CANONS. Il se déroule à Nantes les 26 et 27 Juin prochain et fait la part belle aux femmes vigneronnes pour des raisons évidentes de l'an que de visibilité. Dommage que vous n'ayez pas cité cet évenement qui est plus qu'une foire aux vins, un espace de liberté et d'échanges pour les vigneronnes et une très belle fête qui plus est.
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Parit?≠Egalit?≠mixit? Le 05 mai 2021 à 10:19:58
« Il ne faut pas confondre égalité et parité, l’égalité est une composante de la parité, la parité étant le but ultime. La mixité est aussi un élément faisant partie de la parité. » Alors non par contre... L'égalité n'est certainement pas une composante menant à la parité. La parité homme/femme dans la filière ne traduit ni une égalité, ni une parité... bien au contraire
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MG Le 04 mai 2021 à 15:33:46
Article orienté et plein de rancœur. Et Mme de Rotschild et Mme Duval-Leroy et Mme et Mme Furstoss et Mme Touzet ...
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