out à la fois touffu et décousu, le dernier reportage de Cash Investigation, Alcool : les stratégies pour nous faire boire diffusé ce premier avril à 21h05 sur France 2, promet de révéler les pratiques des lobbies alcooliers grâce à la recette clivante du programme (caméras cachées, infiltration d’entreprises, interviews de confrontation ou de validation selon l’interlocuteur). Se penchant pendant une heure sur les fonctionnements commerciaux et marketing du groupe Pernod Ricard (voir encadré), l’émission réalisée par la journaliste Véronique Blanc s’attaque ensuite aux discours politiques et scientifiques soutenant la filière des vins français. A commencer par son régime fiscal attractif, alors que les Français consommeraient trop d’alcool par rapport aux recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
« Boisson préférée des Français, le vin est aussi le moins taxé des alcools » pose Cash Investigation, dont le reportage présenté par Élise Lucet note que si le « vin a beau représenter 56 % de la consommation d’alcool et être plus alcoolisé que la bière, il bénéficie d’un privilège exceptionnel : il est le moins taxé des alcools (sans compter la TVA, les taxes représentent 0,83 % du prix d’une bouteille de vin, 9 % pour la bière et 50,8 % pour un spiritueux) ».


Pourtant, « la meilleure technique pour réduire la consommation, c’est le prix » assène l’avocat et économiste Pierre-Alexandre Kopp. Se basant sur son étude de 2016*, le professeur de la Sorbonne ajoute que « l’alcool ne rapporte pas, il coûte aux contribuables » en termes de soins, et estime qu’« il y a un lien clair et indubitable entre le prix et la consommation. Et on sait qu’il y a un lien clair et indubitable entre le niveau de consommation, global et par tête, et le nombre de gens qui meurent et qui est malade. On peut danser, on peut chanter, mais c’est comme ça. »
« Pour faire baisser la consommation d’alcool, il faudrait utiliser l’arme de la fiscalité. Pourquoi le vin, la boisson la plus consommée, bénéficie-t-il d’un tel niveau de faveur ? » questionne le reportage (qui avait déjà répondu auparavant, indiquant que « ce traitement de faveur ne doit rien au hasard »). Prenant pour exemple le débat parlementaire concernant la taxe premix de fin 2018, Cash Investigation cible les membres du groupe d’étude Vigne et Vin de l’Assemblée Nationale.
D’une caméra cachée lors d’une dégustation dans les salons du palais Bourbon (où le discours capté de la députée tarnaise Marie-Christine Verdier Jouclas prône pourtant l’interdiction de la consommation des mineurs et femmes enceintes) à l’interview surprise du député alsacien Jacques Cattin (qui « assume tout à fait d’être le porte-parole de la filière »), le spectateur ne peut que regretter l’apparent parti-pris du programme, créant la suspicion en dénonçant l’opacité du travail parlementaire (contrairement à ce qui est indiqué, les réunions et ordres du jour du groupe de travail sont mises en ligne, pour qui les cherche).
Le dernier volet du reportage s’attaque à l’idée scientifique qu’une consommation modérée de vin peut être bénéfique à la santé selon « la courbe en J » (par rapport à un abstinent, le risque de maladies cardiovasculaire baisse pour une consommation modérée, puis augmente avec la consommation d’alcool qui annule l’effet protecteur précédent). Rencontrant dans le Massachussetts l’épidémiologiste américain Curtis Ellison (défendant la courbe en J), Cash Investigation le met face à ses financements de la filière des vins et spiritueux.


Le reportage reprend les propos de l’épidémiologiste canadien Tim Stockwell sur « les biais de comparaison entre les abstinents et les buveurs. [Alors qu’on] suppose que les abstinents n’ont pas de problèmes de santé, ils ont un problème de santé et sont d’anciens buveurs dans la plupart des études : la comparaison n’est pas juste. Des études qui ont corrigé ces biais montrent il n’y a plus de bénéfices, même les buveurs modérés ont un risque de mourir plus élevé. La courbe devient droite : il n’y a pas de miracle. » Faisant état d’« études controversées », Cash Investigation conclut qu’il faut limiter la consommation de boissons alcoolisées, présentant toujours un risque pour la santé. Un documentaire qui ravira les fans de l'émission et atterrera ses critiques, le but apparent de son script n'étant pas de nuancer mais de souligner les clivages.
* : Le reportage ne précise pas hélas le périmètre des calculs et les données utilisées, indiquant que le résultat est obtenu en retranchant les 3 milliards € de taxes sur les vins et spiritueux et 1,7 milliard € de retraites économisées aux 7,7 milliards € de soins pour les personnes malades de l’alcool.
Cash Investigation consacre l’essentiel de son émission aux stratégies commerciales du groupe Pernod-Ricard, de la mise en danger de ses collaborateurs buvant et travaillant trop au recours à des influenceurs contournant la loi Évin. Le reportage dissèque notamment des concerts de rap organisés par le whisky Chivas et des voyages offerts à des influenceuses par la liqueur Malibu. D’après les informations recueillies au service digital du groupe Ricard (sous couvert d’un stage réalisé par une journaliste de Cash Investigation), des engagements de promotion sur les réseaux sociaux sont passés oralement avec les artistes pour réaliser des parrainages contournant les restrictions liées à la communication de la loi Évin.
Une stratégie que récuse, face à Élise Lucet, Marie Benech, la responsable du marketing responsable du groupe Pernod Ricard. Dans une lettre envoyée par la groupe à l’émission, « il est faux d’affirmer que notre filiale française ait pu vouloir contourner loi Évin ». En amont de cette diffusion, Pernod-Ricard a annoncé ce 15 mars s’obliger à étiqueter le logo « interdit aux moins de 18 ans » sur ses bouteilles et renforcer la formation de ses employés (cliquer ici pour en savoir plus).